Suit l'adaptation de Carmen par Pablo de Sarasate, Carmen fantaisie et quelques emprunts à l'adaptation de Franz Waxman, qui est un véritable morceau de bravoure pour violon et orchestre auquel se prête, presque sagement, Akiko Suwanai.. Elle jouera avec une apparente facilité sur toute la palette qu'offre son très beau (au son !) Stradivarius. Le tout maintient une harmonie délicate tout du long. Trop peut être à mon goût, lui, plus fantaisie plus gitan que lyrique.
Des extrait de la suite pour Orchestre du Tricorne de De Falla me réjouiront: j'y sens de l'amusement et j'apprécierai de me laisser surprendre par la variété des sons et puissances de l'orchestre du solo au tutti.
Là vient le solo de Miguel Ángel Berna, dans la seule musique de ses virtuoses castagnettes. L'intervention est vive, fière et enlevée.
Suit sur la danse rituelle du feu de l'amour sorcier de De Falla le solo d'Úsula López. L'intégration du Flamenco est très convaincante et le zapateado et les pitos m'ont paru enrichir le vocabulaire musical. Les parties plus classique espagnol reviennent à des choses plus formelles qui m'ont moins touchée.
Un court entracte et c'est au seul plaisir de la musique que se passe cette deuxième partie de concert : Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov, orchestre au son joyeux, sur le vrombissement de 7 contrebasses et qui reste très russe malgré les "castagnettes" d'orchestre que le percussionniste manipule en appuyant dessus : ça parait parfaitement surréaliste pour les habitués que nous sommes aux castagnettes à mains telles que celles que Berna a utilisées dans son excellente intervention juste avant !
Tzigane de Ravel (pas très espagnol!) est un autre morceau de bravoure pour la soliste japonaise.
Enfin du même Ravel, le fameux Bolero et son presque rien emplissant peu à peu l'espace jusqu'à la saturation décrit justement le livret, une avancée implacable. L'effet est aussi absurde qu'enthousiasmant.
Soulignons aussi le clin d'oeil de Ravel, qui, en bon amateur de folklore espagnol, veut jouer de son orchestre comme d'une guitare flamenca, avec toute la gamme de la musicalité des cordes plus les pizzicatis, les percussions sur le corps... Les violonistes en viennent à prendre le violon comme une guitare.
Le bis est la très dansante Farandole de Bizet.
En conclusion me viennent quelques questions sur ce mélange de genre symphonique et danses traditionnelles : ont-ils vraiment eu le temps de préparer ce collage technique et culturel ? De travailler dans l'écoute et la découverte mutuelle ? Comment faire pour que le danseur ne soit pas qu'une virgule qui ponctue la masse orchestrale elle même très prégnante scéniquement ? Je ne sais pas, mais saluons Úsula López et Miguel Ángel Berna d'avoir relevé le défi.
Le samedi j'ai le plaisir d'assister au spectacle Del amor y otras cosas de la compagnie Rafaela Carrasco, dont la séance photo de la veille n'a été qu'une alléchante mise en bouche. Si l'on peut déplorer le trop succint programme (ne figuraient même pas les noms des musiciens et chanteurs !), le spectacle, lui, est tout à fait réussi.
Je ne présenterai pas la très belle danseuse et chorégraphe Rafaela Carrasco, lisez plutôt son interview ici
Pour ce spectacle elle s'entoure d'un autre fabuleux danseur, Daniel Doña, et de très bons musiciens et chanteurs.
Elle nous propose dans Del amor y otras cosas une vraie histoire, une histoire d'amour, bien sûr, une histoire d'approche, de séduction, une histoire sensuelle, immédiate et passionnelle. Une histoire qui se dégrade et enfin le détachement douloureux et l'acceptation. Le tout se raconte par la danse...et par les costumes.
Le spectacle commence, elle seule robe beige nu, voix de chanteur nue aussi, dans un rond de lumière intermittent. La rencontre suit, et amène une danse souriante, comme rarement en flamenco. C'est un bonheur !
Lui revêt un hybride manteau bata de cola qui devient prétexte, à mon sens, à un jeu de territoires assez ludique et pourtant amorçant déjà la difficulté du couple. La musique (enregistrée) est alors de type répétitive.
Durant le début du spectacle j'entendai un spectateur remarquer que ça pouvait être osé. Pourtant pas un geste déplacé, pas de nudité, pas de crudité. Mais Une évocation forte et juste, intime, croit-on, vraiment. Il y a bien du risque à tisser ainsi l'expression du flamenco avec l'émotion du contemporain.
Reprenons. Suit un duo où les voix des chanteurs se mêlent à merveille. Une pure beauté. Puis autre duo, mais de danseurs, lui aux castagnettes elle au zapateado tout aussi enthousiasmant. Un beau solo de Daniel Doña sur la guitare qui annonce la scène la plus visuelle requérant un costume d'un sublime velours rouge, double veste reliée par un cordon, moins ombilical, que prolongement de la "bata de cola" du début, mais étendu aux deux.
Il s'agit d'un travail plus expressionniste sur les forces et les liens entre les deux personnages. Un accompagnement musical piano violoncelle flûte ajoute un frisson tragique à la séparation finale. La musique devient plus dissonnante.
Un solo de Rafaela Carrasco clos (presque) le spectacle, avec une robe de papier blanc manuscrit comme des lettres qu'elle déchire. On croirait une référence à la mort du cygne dans le célèbre ballet à tutus blancs de Tchaïkovski. Le volume que prend le vêtement au fur et à mesure lui fait un négatif du manteau qu'elle portait au départ.
Le spectacle se termine presque comme il avait commencé : dans un cercle de lumière, mais l'expression parait plus forte. Sans aucun doute, entre les deux, il s'est passé quelque chose !