Rafael et Adela Campallo - Sangre

Bon sang ne saurait mentir !

© Festival de Jerez/Javier Fergo

Lors de sa création à Mont de Marsan en juillet dernier « Sangre » s'était fait souffler la vedette par l'extraordinaire prestation de Encarna Anillo et El Pele qui passaient juste avant sur la scène du Café Cantante. Le spectacle remanié sous la direction artistique de Mercedes de Córdoba a pris corps et consistance avant d'être présenté à la biennale 2014. (voir le compte rendu de Javier Prieto à la rubrique concernée)

« Sangre » ce sont d'abord les liens du sang qui unissent la fratrie Campallo : Rafael, Adela mais aussi Juan le tocaor qui assure brillamment la direction musicale du spectacle. Le rideau se lève sur eux, immobiles, et les voilà qui s’animent dans la lumière de ce que l'on devine être le patio familial à Triana. Chacun répète dans son coin jusqu'à ce que le grand frère s'aperçoive que la petite suit ses pas et qu'ils se rejoignent autour des cordes du cadet. Le fil narratif est lancé, il n'y a plus qu'à le dérouler.

La formation artistique de chacun est évoquée. On retrouve Rafael esquissant des Tangos de Triana suggestifs devant une ancienne radio égrillarde, économie de mouvements et pourtant impact absolu !

Adela reconstitue un peu de los Gallos avec la toile de fond du célèbre tablao sévillan, Begoña Arce fait virevolter sa bata de cola dans une évocation de Caña avant que n'apparaisse Adela pour des Caracoles pétillants et papillonnants. Puis Carmen Ledesma et Enrique el Extremeño montent sur scène depuis la salle, voilà les générations réunies, et l'esprit du tablao se déchaîne dans des Bulerias de fin de fiesta où la complicité et le respect sont palpables. Hugo Sánchez tient son rôle de bailaor mais le public s'enflamme devant les coups de bassin de la matrone du baile toujours aussi majestueuse et à la fois provocatrice. Un pur bonheur.

Changement de cap pour le parcours artistique de Rafael. La Rondeña introductive fait apparaître un Raúl Gómez torturé. L'apprentissage est abordé du point de vue de la relation professeur élève dans ce qu'elle a de plus difficile pour l'ego de chacun. Plusieurs lectures sont possible mais il est indéniable que la souffrance est présente et la théâtralisation de la Farruca révèle la violence des sentiments. L'un guide l'autre dans un premier baile très classique, jusqu'à ce que l'élève s'émancipe et le tableau semble terminé. Mais Rafael revient pour encore une Farruca, beaucoup plus personnelle cette fois, ou l'on retrouve son cambré torero dont il a fait sa marque de fabrique.

Naturellement le tableau suivant reste dans le registre de la douleur. « Acaba penita acaba que con el morir se acaba el sufrir y el padecer », magnifique champ lexical du Fandango appliqué ici à la Seguiriya. Enrique réapparaît pour accompagner Adela dans son débat avec les difficultés de la vie. Accident, opération, impossibilité de danser et son cortège d'angoisse et de désespoir sous tendent sa prestation. Elle danse comme si c'était la dernière fois avec la puissance de sa présence et la grâce de son braceo intacts. Comme pour soulager la peine de sa sœur, Rafael apparaît pour des Alegrías revigorantes. Il danse pour elle, assise en fond de scène, et l'entraîne au final dans une embrassade fraternelle. Ils vont revenir pour une Soleá solennelle, climax du spectacle. Mais avant, EL Londro et Jesús Corbacho entament un mano a mano de Fandangos a palo seco qui renouvelle les traditionnelles et parfois pesantes sessions de Martinetes.

La Soleá va donc fonctionner comme un creuset pour ces personnalités artistiques différentes et pourtant indubitablement liées. « Fui piedra y perdí mi centro » il s'agit donc de se re-trouver soi-même et retrouver les autres le trio fraternel se reforme, d'abord dos à dos ils finiront les yeux dans les yeux autour de la guitare de Juan, la voix off de leur mère dans un fandango final comme une règle de vie : « Le pido a Dios que cuando yo no esté la sangre siga mandando ».

Le Teatro Villamarta est debout pour saluer le spectacle dans son entier, la lumière et la scénographie subtiles et convaincantes, le bon dosage des artistes invités, le cuadro « de lujo » à l'arrière et surtout ces deux danseurs au sommet de leur art qui ont mis leurs tripes à nu (les espagnols disent la viande sur le grill) renouvelant le rituel du flamenco qui unit, entrelace et dissout l'ancien et le nouveau, la force et la délicatesse, les rires, la sueur et le sang.


Dolores Triviño , le 02/03/2015

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EQUIPE ARTISTIQUE:: Baile et chorégraphie - Rafael Campallo et Adela Campallo
:: Collaboration spéciale - Begoña Arce, Hugo Sánchez, Carmen Ledesma
:: Artiste invité - Raúl Gómez
:: Cante - Enrique El Extremeño, Jesús Corbacho, Londro
:: Guitare - David Vargas, Juan Campallo
:: Percussions - Raúl Botella, Javi Silva

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