Manolo Marin

Pour être dans le flamenco il faut être fou

Durant la semaine de flamenco organisée du 26 au 31 octobre par l'association Atika le bailaor sévillan Manolo Marin qui a formé des générations de bailaores et bailaoras, a dispensé des stages de baile à des groupes de stagiaires de trois niveaux différents. Il donna aussi une conférence qui prit la forme d'une charla avec les aficionados présents dans le hall du Centre Barbara, spécialement aménagé pour l'occasion.

L'association Atika est depuis ses débuts en quête d'un flamenco traditionnel et authentique. C'est donc tout naturellement qu'elle compte parmi les maestros qui viennent régulièrement dispenser des stages Angelita Gomez et Manolo Marin.

Manolo Marin parle très bien français car il a souvent travaillé dans l'Hexagone. Quand on lui demande comment il a débuté dans le flamenco il répond "Ce n'est pas moi qui ai commencé avec le flamenco, c'est le flamenco qui a commencé avec moi !". Il ne pouvait pas suivre l'enseignement dans une école de baile car ses parents n'étaient pas assez fortunés. Il a donc commencé à regarder les classes d'Enrique El Cojo et à danser à sa façon sur les chansons qui passaient à la radio. A l'époque il y avait beaucoup moins de moyens d'apprentissage que maintenant et le flamenco était concentré entre Cadiz, Jerez, Séville et Madrid. Il dansait dans les fêtes, baptêmes, et s'est offert ses premiers cours avec l'argent qu'il touchait en tant qu'artiste. Il a donc paradoxalement débuté comme professionnel et c'est seulement ensuite qu'il a pu suivre des cours, à Barcelone.

Manolo Marin explique qu'il est né durant la guerre civile espagnole et que la vie était difficile, mais qu'aujourd'hui la situation des artistes est plus difficile qu'avant car il y a beaucoup plus d'artistes et donc de concurrence. Avant les artistes étaient une poignée car il s'agissait de personnes ayant un véritable don, alors qu'aujourd'hui beaucoup commencent très tôt poussés par leurs parents. "Tout va très vite. C'est incroyable ! Tout, tout dans la vie, ce n'est pas seulement dans la danse et le flamenco. Aujourd'hui en danse, ce qui a dix ans est considéré comme ancien. Mais il y a quelque chose qui ne change pas, c'est El Arte".

Manolo Marin raconte que la technique a beaucoup évolué. "Avant c'était les hommes qui dansaient avec les pieds, les femmes dansaient surtout avec les épaules, avec les bras, se déplaçaient beaucoup sur scène, mais aujourd'hui les femmes dansent comme les hommes, droites comme des soldats, ils n'y a plus de cambrés, elles frappent des pieds et font les mêmes vueltas qu'eux. Il n'y a plus de frontière. Cela est sans doute dû au fait qu'il y a beaucoup d'hommes qui enseignent, mais ils enseignent comme eux ils dansent." Selon le bailaor aujourd'hui il y a trop de technique et peu d'art. "Toujours plus vite, toujours plus difficile, mais on oublie l'essentiel : les mains, l'esprit...".

Le cante lui, même s'il dérive parfois vers le commercial a gardé son essence. José Mercé peut chanter un titre très commercial sur un disque, mais lorsqu'il chante une solea ou une siguiriya dans une peña, la tradition est toujours là. Ce n'est pas le cas dans la danse. "Il ne manque plus que l'on vole !". Manolo Marin apprécie beaucoup le baile féminin car il a eu la chance de voir des figures comme Pilar Lopez, Carmen Amaya, La Macarrona, Rosario... Mais aujourd'hui il y a une sorte d'agressivité dans le baile. "Tout le monde veut être gitan, tout le monde veut être Farruquito, c'est très à la mode en ce moment, car c'est commercial".

"Le public aussi a changé, maintenant ils applaudissent tout, bon ou mauvais, car ils veulent voir la fin de fiesta. Avant on écoutait 'Olé, niña, asi se baila', mais maintenant, même en Espagne, tu vas dans un théâtre à la Biennale, si tu dis 'Olé', les gens te regardent comme ça... Evidemment il ne faut pas le faire durant tout le spectacle, mais si tu dis un Olé au moment opportun, ça ne dérange personne".

"On n'a pas besoin de sauver le flamenco" répond Manolo Marin à une question de Maria Donzella. "Le flamenco existe et existera toujours, il n'a pas besoin d'être déclaré patrimoine, il n'a pas besoin des politiques. Les gens qui veulent sauver le flamenco, on ne les voit pas à la Biennale, on ne les voit pas à Jerez, six mois après avoir obtenu ce qu'ils souhaitent, ça ne les intéresse plus, ils instrumentalisent le flamenco. Il n'y a pas besoin de sauver le flamenco. Le flamenco est là et il le sera toujours".

A une question sur la relation entre le tango et le flamenco, Manolo Marin répond que le tango est très différent du flamenco, que c'est une devenu une danse plus acrobatique, où il faut obligatoirement avoir un bon partenaire et où le rapport de séduction est important, tandis que dans le flamenco on est en général seul sur scène. Au début effectivement le flamenco se faisait pratiquement toujours en couple. Il y avait Rosario et Antonio, Lola Flores et Manolo Caracol... mais ensuite le flamenco s'est fait tout seul.

A une question sur la musique, Manolo Marin affirme que ça ne sert à rien de compter, que c'est l'oreille qui doit s'habituer à la musique à force d'écouter, et donc que l'écoute est très importante.

Dans le reportage de Christine Diger "Au dela d'une danse, le baile flamenco", Manolo Marin disait qu'il y a quelque chose dans le flamenco qu'on n'enseigne pas. A la question sur ce qu'est cette chose il a répondu qu'il s'agissait de la grâce, d'une chose que l'on a ou non en soi. "On peut apprendre des pas, on peut apprendre des bailes, mais il y a quelque chose qu'on n'enseigne pas, et je ne crois pas que ce soit seulement dans le flamenco, c'est dans l'art en général. Il y a des choses dans le flamenco que l'on peut seulement apprendre en étant dedans depuis tout petit, avec les vivencias, avec la famille, avec les voisins... c'est pour cela que maintenant c'est plus difficile. Car cette convivialité n'existe plus. Triana est devenu un quartier comme un autre".

Manolo Marin explique le succès du flamenco à l'étranger car il parle de thèmes universels. En ce moment à Séville il y a beaucoup de gens du Japon mais aussi des Pays de l'Est, de Chine... Concernant la différence de niveau entre l'Espagne et les autres pays, il affirme que c'est seulement un problème de technique dû à un manque de pratique, à part pour les japonaises qui travaillent plusieurs heures par jour.

Pour conclure Manolo Marin récita un poème sur la musique de solea de Pascal Gaubert, et Maria Donzella accompagna au cante deux danseuses de sévillane.

Il nous restera cette phrase de Manolo Marin qui dit "Pour être dans le flamenco, il faut bien plus qu'aimer, il faut être fou."


Flamenco Culture, le 30/10/2010

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