Adios Moraíto

Le cante de Jerez orphelin de son guitariste

A croire que les meilleurs partent en premier. En l'espace d'un an et demi, la mort a privé le flamenco de trois de ses plus grandes figures contemporaines. Après Fernando Terremoto et Enrique Morente, Moraito laisse à l'aube de ses 55 ans un vide immense derrière lui.

Moraito le 11 mars 2010 à Jerez

La première fois que je rencontrai Moraíto, c'était à Nîmes en 2010 pour les vingt ans du festival. Je fus d'emblée touchée et surprise par sa simplicité et sa profonde humilité ainsi que la sympathie qui émanait de lui.

Hommage à MoraitoQuelques semaines plus tard je le revis au cours du Festival de Jerez, notamment lors d'un hommage - prémonitoire ? - qui lui fut rendu Le 11 mars 2010 au Conservatorio Profesional de Música "Joaquín Villatoro", durant lequel des élèves de guitare tentèrent avec plus ou moins de réussite d'interpréter ses compositions. Les journalistes Fermín Lobatón et Manuel Naranjo dissertèrent longuement sur différents aspects de la carrière de Manuel Moreno Junquera, qui commença en accompagnant La Paquera de Jerez un jour où Parrilla n'était pas disponible. Le but de cet hommage auquel assista une foule d'aficionados, était de reconnaître l'apport de Moraíto au patrimoine musical andalou.

Paco El Lobo, Pedro Navarro, MoraitoMoraíto vint ensuite jouer à Antony dans le cadre des Internationales de la guitare. Cela faisait trois semaines que je luttais contre une grave bronchite contractée à Jerez, mais je fis le déplacement jusqu'à Antony pour l'écouter, et le concert exceptionnel qu'il donna en valait la peine. Toujours aussi jovial et sympathique, Moraíto me demanda de lui envoyer une photo de lui prise avec le cantaor Paco El Lobo, ami de longue date du guitariste et parrain de son fils.

Je recroisai Moraíto à Mont-de-Marsan puis à la Union, mais nous n'avons pas eu le temps de réaliser son interview et avions prévu de la faire à Nîmes, ce qui ne fut pas le cas, car Moraíto était déjà très fatigué et je préférai m'abstenir.

La dernière fois que j'ai vu Moraíto, c'était donc à Nîmes, le 17 janvier 2011. Il était 4h30 du matin, et nous étions une poignée à l'attendre pour lui dire au revoir avant son départ en car pour Barcelone, Patrick Bellito en tête. Moraito dans son dernier concert à NîmesDans l'après-midi, le guitariste de Jerez avait offert un magnifique concert où il avait souhaité jouer avec la guitare de son père, Juan Morao. De tous les concerts de Moraíto que j'ai eu la chance d'écouter, celui-ci fut sans doute le plus beau - il s'avéra plus tard que ce fut son dernier en solo - , comme un cadeau qu'il aurait voulu faire avant de partir. Car quelques jours avant, nul ne savait si le concert aurait lieu. Morao avait finalement trouvé la force de jouer mais le lendemain, il était rentré à Jerez et avait laissé à son fils Diego le soin d'accompagner le récital de Jesus Mendez et le spectacle Mujerez, et de le remplacer à nouveau quelques jours plus tard à la Biennale des Pays-Bas.

Il n'est pas évident de trouver les mots pour exprimer la peine que provoque la disparition de Moraíto et le vide qu'il laisse dans le monde de la guitare mais aussi du cante. Il était l'accompagnateur favori des cantaores de Jerez - et celui officiel de José Mercé - car il savait écouter le cante et lui répondre de façon appropriée, d'une manière simple et sensible. Ses falsetas sont connues et jouées dans le monde entier. Moraíto était aussi renommé pour ses rasgueos, son alzapua à l'ancienne et sa rythmique exceptionnelle, ce soniquete qui en faisait l'un des meilleurs interprètes de la buleria. Il laisse derrière lui un lourd héritage à son fils Diego qui s'est déjà forgé son propre style mais reste le gardien de la tradition "moraitienne".

Mes plus sincères pensées vont à la famille de Moraíto, à ses proches et à tous les aficionados qui apprécient sa musique. Que en paz descanse.

Moraíto avait participé à l'émission Com.Flamenco de Giralda TV. La voici ci-dessous


Extrait du très beau reportage hollandais "El cante bueno duele"


Flamenco Culture, le 10/08/2011

Voir aussi- Video de Moraito à Nîmes
- Audio de Moraito à Nîmes
- Video de Moraito à La Union avec José Mercé
- Video de Moraito à Antony

Discographie

- Morao Morao (1999)

Morao Morao

- Morao y Oro (1992)

Morao y Oro

Moraito a enregistré seulement deux disques en solo mais ses collaborations à l'accompagnement du cante sont innombrables, il a participé à un très grand nombre d'albums, aussi bien ceux des plus grandes figures que de jeunes cantaores comme Antonio Reyes ou El Tolo.

Contre toute attente Moraito avait aussi accompagné David Carpio en mars dernier au Festival de Jerez.


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