Dossier - Culture et accessibilité

Le cas du Théâtre de Nîmes et de son festival flamenco

L'accessibilité est un enjeu de plus en plus prégnant. L'accès à la culture est d'ailleurs un droit inscrit dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Nous avions rencontré Adèle Brouard, chargée des relations avec le public et référente accessibilité du Théâtre de Nîmes, lors de l'édition 2023 du Festival Flamenco de Nîmes afin d'évoquer avec elle les mesures mises en oeuvre par le Théâtre. Un échange dense et passionnant à découvrir ci-dessous.

Adèle Brouard

Adèle Brouard - photo © Stéphanie Belton

Il n'est pas rare lors des spectacles au Théâtre de Nîmes de croiser au pied de la scène des chiens guides d'aveugles ou des personnes en fauteuil. La population nîmoise en situation de handicap est aussi régulièrement invitée par le Théâtre à venir assister à des représentations.

Adèle Brouard est chargée de l'accès au spectacle vivant pour les personnes en situation de handicap, notamment le handicap sensoriel (aveugles, malvoyants, sourds et malentendants). "Le Théâtre de Nîmes est l'un des pionniers en la matière, puisque la première audio-description, dispositif qui permet à un public aveugle ou malvoyant d'assister à une représentation de théâtre, a eu lieu il y a plus de quinze ans sur un opéra." souligne-t-elle.

Les dispositifs principaux utilisés par le Théâtre de Nîmes pour rendre les spectacles accessibles sont les audio-descriptions. Adèle s'est d'ailleurs formée et participe depuis trois ans à l'écriture d'audio-descriptions.

Le Théâtre s'est aussi doté d'une table tactile en braille qui permet aux nouvelles personnes qui ne connaissent pas les lieux de découvrir le plan du Théâtre pour avoir une représentation globale du lieu. "C'est un bel outil de sensibilisation qui est très bien réalisé et qui renseigne aussi sur l'histoire du bâtiment". Cet outil a néanmoins ses limites et ne permet pas d'avoir une réelle autonomie, celle-ci étant limitée par l'accessibilité du bâtiment.

L'accessibilité passe aussi par la sensibilisation des équipes et des acteurs du spectacle vivant. L'équipe du Théâtre est sensibilisée pour accueillir de façon professionnelle et en toute sécurité les personnes en situation de handicap malgré les contraintes inhérentes au bâtiment comme l'absence de lignes de guidage. Accueil, guidage et accompagnement sont donc les maîtres-mots d'une démarche qui permet de fidéliser le public durant toute la saison, à la fois pour des spectacles en audio-description, ou d'autres accessibles par nature (concerts, lectures), et même de le voir s'abonner. "Le public est très attaché au lieu et à l'équipe, ils se sentent un peu chez eux quand ils viennent" confie Adèle.

Pour les personnes sourdes signantes (qui communiquent en langue des signes), le Théâtre accueille des spectacles existants en langue des signes, ou crée l'adaptation sur place pour le public nîmois avec des interprètes locaux, cette adaptation pouvant ensuite tourner dans d'autres lieux. "Le Théâtre de Nîmes a été le premier en France à s'équiper de gilets vibrants qui captent les fréquences de la musique émise au plateau, que ce soit de la musique enregistrée ou live, et qui les retranscrivent sous forme de vibrations dans le gilet. Donc cela permet à la personne qui porte le gilet de ne pas être coupée de l'intention musicale. Ils sont tout de suite dans l'ambiance. Je garde beaucoup d'émotion du premier spectacle qu'on a fait avec les gilets [...]. D'avoir à la fois le geste du batteur qui lève sa baguette, qui lance le son et que ça vibre dans le gilet, et de voir les sourds réagir à ça c'est très fort." raconte Adèle qui confie s'être également formée à la langue des signes. "Nous avons aussi accueilli une personne sourde dans l'équipe du Théâtre" ajoute-t-elle.

A la suite de la Loi du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances, les personnes en fauteuil ont été les premières à bénéficier des dispositifs mis en place par le Théâtre. Les politiques publiques se sont dotées d'un instrument important pour financer la mise en accessibilité physique des établissements recevant du public, le fonds accessibilité.

Chien guide d'aveugle couché au Théâtre
Chien guide d'aveugle - photo © Flamenco Culture

Au delà de l'accessibilité physique se pose aussi la question de l'accessibilité numérique, qui est plutôt de ressort du service Communication. "Le théâtre a essayé lors de la refonte de son site Internet de le rendre le plus accessible possible. Comme je suis très en lien avec les associations d'usagers, notamment la Fédération des aveugles de France, on avait organisé un rendez-vous avec le webmaster et un informaticien pour rendre le site accessible, mais c'est vrai qu'actuellement, c'est une accessibilité de base, ce n'est pas encore très développé, et j'aimerais bien qu'on anticipe encore plus cela pour la prochaine refonte du site. Après on a aussi une version audio du programme qui est accessible sur les réseaux sociaux, sur notre site Internet... Ce qui marche le plus c'est une version que je grave sur CD et que j'envoie aux gens qui le souhaitent, ou sur demande à la billetterie, ou à la Fédération des aveugles de France lorsque je fais une présentation. Et je communique aussi toute l'année sur les spectacles qui sont accessibles, et on a des plages audio qui permettent de rendre l'information accessible."

Adèle décrit la démarche d'accessibilité mise en oeuvre comme un véritable combat, qui se solde souvent par de belles victoires. Elle a pu compter sur l'accompagnement de l'association parisienne Accès Culture pour tout ce qui concerne la formation et l'adaptation en langue des signes notamment, mais aussi sur des personnes relais pour mieux comprendre les besoins, attentes, contraintes et difficultés des personnes concernées. Cette compréhension passe aussi par une mise en situation de guidage, bandeau sur les yeux, une fois par an, pour que chaque membre de l'équipe puisse se mettre à la place d'une personne en situation de handicap visuel. "On échange aussi énormément avec les habitués. Il faut vraiment éviter de faire sans les personnes concernées. C'est ce qu'on appelle le validisme, c'est être dans une position de dominant et au final avoir le sentiment de mieux savoir que les personnes concernées ce qui est bon pour elles." explique Adèle.

Enfin, se pose plus largement la problématique de l'inclusion et de la diversité. "Le Théâtre doit être accessible à tout le monde, que ce soient les enfants, les personnes âgées, les familles, les personnes en situation de handicap. Je travaille beaucoup avec les minorités, les personnes issues de la précarité, voire de la grande précarité. On a de très beaux projets avec une pension de famille dans le cadre d'un dispositif lié au mal logement de la Fondation Abbé Pierre. Et puis avec le réseau RP (relations avec le public) dont je fais partie, on a beaucoup travaillé sur la question de la diversité, et du manque de diversité dans les salles. Le premier volet était sur les personnes racisées. Après ça va dépendre des territoires, mais globalement le public et les personnes sur les plateaux n'est pas représentatif de la population française. C'était vraiment passionnant cette question finalement d'un racisme intériorisé, du colonialisme, des histoires qui sont racontées sur scène ou qui ne sont pas racontées, de l'appropriation culturelle... On n'a rien résolu mais on a fait un état des lieux. On avait fait un entretien avec Marine Bachelot Nguyen du collectif "Décolonisons les arts" (collectif dont Françoise Vergès, qui avait déjà réfléchi à cette problématique, est à l'initiative), mais il est temps qu'on se pose les bonnes questions car la nouvelle génération ne laisse rien passer sur les sujets de sexime, de racisme, de genre etc... On retrouve aussi cette question d'exclusion dans le handicap."

Rocio Molina au studio de danse
photo © Théâtre de Nîmes

Pour finir, nous avons demandé à Adèle ce qu'était pour elle un festival de flamenco accessible : "On accueille tous les ans sur le festival des foyers et maisons d'accueil médicalisés. Ce sont des publics hyper ouverts vis-à-vis du flamenco, et ça se passe très bien. Et puis il y a des spectateurs aveugles qui viennent sur le concert de Rafael Riqueni. La aussi c'est une habitude, tous les ans il y a un petit groupe. L'année dernière je pense que j'ai vécu un des plus beaux moments de ma carrière à ce niveau-là, puisque le spectacle de Rocio Molina dont je suis une grande fan, était en audio-description. Et dans l'après-midi on a eu un temps avec un petit groupe de huit femmes aveugles et Rocio Molina qui s'est prêtée à cette rencontre au studio de danse. Elle a d'abord parlé de son travail, elle a expliqué quelle était sa démarche sur ce spectacle et elle a dansé dans différents costumes, dont sa bata de cola, qui fait beaucoup de bruit et déplace beaucoup d'air... Donc les personnes ont pu sentir tout ça. Elle a été beaucoup dans le tactile avec elles, à prendre les mains, sentir le mouvement des poignets et certains mouvements de flamenco etc... C'était hyper-émouvant. Elle a dansé en chaussures et ensuite on a fait une visite tactile, les participantes ont pu toucher les costumes avec elle."

Reste que décrire le baile de Rocio Molina n'est pas chose aisée. Adèle raconte : "L'audio-description a été réalisée par une ancienne danseuse qui décrit très bien les mouvements et les images. Personnellement, je pense que c'est bien de raconter une histoire contrairement à ce qu'on fait d'habitude en audio-description. Non pas une histoire que l'on aurait inventée, mais échanger en amont avec le ou la chrorégraphe pour essayer de comprendre ce qu'il ou elle a voulu raconter et le rendre accessible aux spectateurs et aux spectatrices. Ca n'empêche pas de décrire les mouvements, mais je pense que c'est bien de donner accès à toute la poésie du spectacle, peut-être même donner accès à des choses que le spectateur voyant ne pourra pas percevoir, que ce soit compensé par des informations qu'on aura eues par ailleurs. C'est ce qu'on avait fait pour le premier spectacle de hip-hop en audio-description. Après chaque spectateur est différent, il y a des partis-pris, des choix à faire, mais ce qui compte c'est d'arriver à la fin à une diversité de propositions."

Remerciements à Adèle Brouard et au Théâtre de Nîmes.

Rocio Molina au studio de danse avec les participantes de l'atelier tactile
photo © Sandy Korzekwa


Emilie Pathenay, danseuse et professeure de flamenco, est également autrice d'audio-descriptions.


Flamenco Culture, le 06/05/2024

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