Mudanza,nf : changement, déménagement, mue, mais aussi « Mu Danza » très danse ! La Lupi a donc fait peau neuve, et pour déménager, c'est sûr que ça déménage !
Très attachée à toutes les influences artistiques qui ont fait d'elle cette somptueuse danseuse, La Lupi met en scène son parcours depuis le classique espagnol, la danse dite « bolera », jusqu'au flamenco qu'elle respire tous les jours. Une demoiselle suit un vagabond et trouve dans sa besace les accessoires pour devenir bailarina, séquence savoureuse où Roberto Jaen, palmero, dévoile son potentiel comique et Lupi sa technique classique intacte. Leur chemin les mène vers cette tablée de gitans réunis autour d'un chaudron qui va absorber les éléments folkloriques et après cuisson et touillage méticuleux par des flamencos goguenards va régurgiter, tel le sac de Marie Poppins, tablier, fleurs, peineta et chaussures dorées, ou de vair peut-être, à moins que ce ne soient celles du Magicien d'Oz qui exaucent tous les souhaits en tapant les talons.
Cette caldera n'en finit pas de déborder de rythmes ravageurs, de fantaisie et de souffrance, de sensualité et d'énergie. D'une créativité permanente, Lupi exhibe sa bata de cola avec ostentation faisant fi de la technique académique, fait tourbillonner son mantón dans des pliages et des figures jamais vues, se déhanche avec passion et dessine avec ses bras des volutes délicates. Toutes les parcelles de son corps sont en action et sa danse jaillit des profondeurs de son être, s'impose à elle, l'entraîne vers des vertiges de folie qu'elle domine cependant par une maîtrise millimétrée du mouvement, autant gracieuse qu'outrancière. Elle est là où on ne l'attend pas, clown, sirène et mater dolorosa à la fois. Le moindre déplacement, le moindre geste raconte une histoire et La Lupi n'est pas bavarde, non, elle est volubile !
Les éléments du champ lexical du déménagement fonctionnent comme un fil rouge tout le long du spectacle : le plastique à bulle est exploité en transparence comme une mue de serpent et intégré au soniquete par froissement et éclatement des bulles, il finira dans l'apothéose d'un mantón virevoltant dans le clair obscur ; les bruits d'escalier, de clés et de portes lourdement fermées participent à l'atmosphère de désarroi. Abandon, exil ? Solitude du nouveau départ. De la Seguiriya au Taranto en passant par les Tangos, les Cantes de Trilla et les Malagueñas, Gabriel de la Tomasa et Miguel Ortega prêtent leurs voix puissantes aux tourments et joies de La Lupi. Les chaises sont emballées, les cartons révèlent les trésors essentiels que l'on emporte partout et celui del Choro en artiste invité percutant et sobre, contient le « compás », simple battement de cœur qui s'enrichit et éclate en bulerías finales. Curro de María et Oscar Lago à la guitare font un travail phénoménal et exultent comme deux larrons en foire. Le spectacle est complet, c'est jubilatoire, profond, étonnant, poignant et cela a bien mérité la standing ovation au rythme de bulería qui monte de la salle comme un tremblement de terre. Le dernier décor se met en place pour le salut : des bandes adhésives pour emballages marquées « Muy frágil ». Bien sûr. Parce que cette tornade dansante, mégère et diva, a une sensibilité à fleur de peau et un cœur gros comme ça, vraiment, capable de se donner toute une semaine pour ses stagiaires et clore le festival avec des larmes de reconnaissance pour ce public qui l'acclame debout. ¡Señora ! ¡Que arte !