Le vendredi au café cantante, encore des garçons : d'abord Cristian Guerrero jeune talent du chant dont le premier disque appuyé par la Junta de Andalucía a vu se pencher au dessus de son berceau une myriade de parrains et marraines. C'était sans doute l'occasion de découvrir un artiste prometteur. Ensuite venait Antonio El Pipa avec son spectacle Gallardía Gitanería, déjà vu à Jerez (voir dans ces pages le compte rendu). C'est toujours un bonheur d'entendre Esperanza Fernandez, l'artiste invitée, mais les plus belles choses ont une fin et c'est avec les yeux pleins de Joaquin et les oreilles pleines de José que je regagnais mes pénates orientales privée ainsi du programme du vendredi et du samedi.
Mais cette année le festival réservait quelques perles qu'il fallait chercher dans la programmation périphérique. Le premier bonheur fut la table ronde du mardi à la villa Mirasol intitulée : « La danse véhicule de cultures et de valeurs » Auprès de Belen Maya et d'Antonio Canales, Beñat Achary grand chanteur basque, Thierry Malandain chorégraphe et chercheur au centre chorégraphique de Biarritz et Agnès Izrine journaliste rédactrice en chef de la célèbre revue « Danser ». Tous étaient d'accord sur les valeurs de travail et d'universalité de la danse en général et du flamenco en particulier, sur l'émotion humaine comme vecteur, de plus Beñat fit quelques interventions remarquées pleines de poésie sur le lien entre le chant et la danse, Belen cassa quelques clichés sur la nature sauvage du flamenco et le duende, Agnès chercha une définition de la danse dans les espaces vides, Thierry insista sur la mixité des langages comme source de renouvellement et Antonio nous fit un feu d'artifice d’inter-langue dont la plus belle phrase restera : « Mama mia, que suerte la gent de Mont de Marsan ! Huits mots, quatre idiomes : italien, espagnol, catalan (prononcer la jinte) et français !
Mais le gros coup de cœur a été pour le merveilleux documentaire « Flamencas : mujeres, fuerza y duende » qui donne la parole à des artistes plus ou moins connues, de toutes les générations entre autres La Susi, Remedios Amaya, Carmen Linares, Belen Maya, Maité Martin, Pastora Galván, Pepa Montes et « un sin fin » de bailaoras, cantaoras y tocaoras pratiquant toutes les formes de flamenco. Les paroles souvent croisées décrivent un monde intime où le flamenco se conjugue avec les préoccupations quotidiennes et les questions existentielles. Un précieux témoignage d'un état de fait dans un instant T de la condition féminine des flamencas, qui s'ouvre sur une formidable interprétation à capella de Gelem,gelem l'hymne tzigane, par Esperanza Fernandez filmée à fleur de peau et qui se termine trop tôt, beaucoup trop tôt, parce qu'on en veut encore, on le veut encore. Le public chamboulé a improvisé un débat avec la productrice dans le hall du cinéma pour retenir encore ce moment d'émotion qui a touché l'âme des hommes autant que celle des femmes. A guetter et à ne louper sous aucun prétexte.
Plus léger mais aussi essentiel parce qu'ils s'adressent aux adultes de demain, les cours d'initiation pour enfant de Soledad Cuesta en public sur la scène de la Bodega et le spectacle Lerele de Laura Vital et sa compagnieau théâtre, fruit du travail auprès de deux classes primaires de Morcenx. Olé las flamencas ! Olé les trésors de pédagogie qu'elles déploient l'une pour canaliser vingt cinq gamines (un seul garçon !) et en une heure leur faire pratiquer palmas, braceo, taconeo et une petite chorégraphie por tango, et l'autre pour monter un spectacle simple mais intelligent où les enfants filles comme garçons chantent et dansent avec enthousiasme et confiance des palos aussi divers que garrotin, sevillanas, tangos et fandangos de Huelva sans oublier la version pour xyllophone, haut bois, basson et chœur scolaire de Orobroy de Dorantes. Très fort.
L'expo photo de Javier Caró « Flamenco código abierto » met en scène les artistes flamencos dans un monde imaginaire fait de réalités possibles, une conception graphique fournie,des clins d’œil stimulants. Et les spectacles de la Bodega, et ceux de l'esplanade du Midou, impossibles à voir pour ceux qui sont aux payants pour cause de chevauchement d' horaires, et les fins de soirées (nuit ? matinée?) au café Music où sous la houlette bienveillante de Juanma les apprentis flamencos se jettent dans le redondel... Et le off qui s'étoffe, et les stages qui s'arrachent et le public éclectique.
C'est tout cela Arte Flamenco. Et ça dure depuis 28 ans. Et on espère que ça va durer au moins vingt huit ans de plus !