Avec une mise en scène très soignée et une affiche des plus attractive, le danseur et chorégraphe nippon Shoji Kojima a fait voyager pendant plus de deux heures hier soir les spectateurs du Teatro Villamarta dans son histoire personnelle et son univers onirique.
Le pays du Soleil Levant a toujours été très lié au flamenco. Il y a aujourd'hui plus d'académies de flamenco à Tokyo qu'à Madrid. L'un des plus ancien et plus emblématique artiste de flamenco japonais est Shoji Kojima, qui, du haut de ses 76 ans, est un fervent ambassadeur de l'art andalou. Le titre du spectacle "A este chino no le canto" provient d'une anecdote de la carrière du danseur pour lequel un cantaor avait refusé de chanter à l'époque en déclarant "A este chino no le canto" - je ne chante pas pour ce chinois. La violence de ces propos est restée gravée dans la mémoire de Kojima qui, comme un pied de nez, a décidé d'intituler ainsi un spectacle qui ressemble à des adieux à la scène.
Pour cela Kojima s'est entouré d'une prestigieuse équipe artistique qui a régalé les spectateurs tout au long de la soirée. Une brochette de talentueux cantaores allant de Miguel Poveda à David Lagos en passant par Enrique El Extremeño, Juan José Amador, José Valencia et El Londro, des danseurs tous plus talentueux les uns que les autres, des guitares d'une justesse remarquable, et bien sûr, la touche chorégraphique du maestro Javier Latorre, sans oublier la mise en scène signée Paco Lopez.
Difficile de résumer en quelques lignes un spectacle de deux heures d'une telle richesse scénographique et artistique. On retiendra en particulier la berceuse interprétée par Miguel Poveda et Eva la Yerbabuena, "El alma herida", la formidable intervention de David Lagos qui a fait rire la salle en déclarant un fracassant "A este chino no le canto !" avant de quitter la scène, et surtout, surtout, la magistrale solea d'Eva Yerbabuena en bata de cola, magnifiquement accompagnée par la guitare de Paco Jarana et ses cantaores habituels Enrique El Extremeño et José Valencia, et par un Juan José Amador à la hauteur d'une Eva au sommet de son art. Juan José Amador et José Valencia conclueront la solea d'Eva respectivement par les chansons "Un compromiso" et "Se nos rompio el amor", grand moment d'émotion.
Il y eut d'autres moments de grâce durant la soirée : une envolée de danseurs et danseuses semi-masquées avec manton blanc symbolisant un vol d'oiseaux sur des tangos dont la musique signée Chicuelo, était une copie conforme de la "camisita de flores" de Duquende, une romantique farruca façon paso a dos interprétée par un couple de danseurs, une colombiana interprétée par des danseuses telles qu'on pouvait les voir sur les cartes postales de l'époque franquiste, dont Ana Latorre - à noter le placement impeccable des artistes les uns par rapport aux autres -, et une magnifique intervention des danseurs du Real Conservatorio de Danza Mariemma, Daniel Ramos et Victor Martin, qui ont présenté leur vision de la Escuela Bolera du XXIème siècle dans une pièce intitulée "Tiempos diferentes", un duo avec castagnettes à l'esthétique parfaite très applaudi par le public.
Shoji Kokima, surnommé par Farina "El Gitano Japonès", demeurera sur scène tout au long de la soirée, le visage dissimulé derrière un masque blanc, et c'est finalement peu avant la fin qu'il offrira au public son baile por siguiriya, après un court pas de deux avec Javier Latorre, avant que Miguel Poveda ne vienne mettre un point final au spectacle avec la malagueña del samouraï.