La revue flamenca ¡ Anda ! a été créée en Allemagne en 1994 par Oliver Farke et alors que personne ne croyait en sa pérennité elle est devenue le phare de milliers d'aficionados de langue germanique et le vecteur promotionnel du flamenco en Europe centrale. Ses amis du mundillo ont voulu rendre hommage à son intense contribution et à sa vision personnelle à la fois dionysiaque et apollinienne del Arte par un spectacle simple sans artifice à l'image de ses critères esthétiques sur le mode de la conversation intime.
Felipe Mato a accepté le défi et embarqué avec lui Gema Moneo, El Londro, Moi et Dani de Morón, autant dire des valeurs sûres d'un flamenco authentique certifié AOC de ce Jerez qu'Oliver aimait tant. Une installation de tablao, une chaise trônant au centre avec une veste d'homme à la place du mantón traditionnel, et en fond de scène un écran servant à projeter d'abord quelques Unes de ¡ Anda ! ensuite les traductions des citations de Farke, voilà le décor planté.
Il est vrai que l'on n'attendait pas Felipe Mato dans un exercice si traditionnel voire austère, après sa récente création « A veces solo voces » très actuelle ; et connaissant son esprit curieux d'expériences innovantes le public s'attendait peut-être à plus de fantaisie. Il a accueilli avec tiédeur la suite flamenca proposée. Pourtant aussi bien dans son Zapateado introductif sur un bruit de machine à écrire, seule entorse à l'orthodoxie, que dans sa Seguiriya ou ses Tientos, Felipe a dansé avec cœur et efficacité dans son registre personnel brillant et généreux. La guitare de Dani très mélodique a su porter la voix râpeuse de Moi et celle plus ronde de Londro dans des Peteneras et des Fandangos de qualité. Gema quant à elle a illuminé la scène de sa grâce et sa « jondura » dans des Bulerías por Soleá intenses et esthétiques qui méritaient que l'on salue davantage son effort pour s'adapter au cadre exigé, elle qui n'est que bouillonnement intérieur.
C'est peut-être là que réside le malentendu. Le soucis certes louable de respecter les goûts de celui à qui l'on rend hommage semble avoir inhibé l'élan vital indispensable. Un peu trop d’apollinien et pas assez de dionysiaque, peut-être ? Il semblerait que ce soit plus la forme générale que le contenu de très grande qualité qui ait dérangé. Il est regrettable que la seule apparition de Felipe Mato dans ce festival ne lui ait pas permis de donner le meilleur de lui même, les autres artistes ayant eu par ailleurs d'autres scènes pour s'exprimer. Espérons qu'il reviendra bientôt dans un espace qu'il pourra pleinement occuper de son véritable talent créatif.