Carmen est sans doute l'oeuvre littéraire la plus adaptée, y compris dans le flamenco. Le personnage de Carmen a inspiré beaucoup de créations flamencas, de la Compagnie Antonio Gades à Sara Baras en passant par Carlos Saura.
Avec "Yo, Carmen", Maria Pagés souhaitait proposer un point de vue totalement différent sur le personnage, un regard plus spirituel et plus féministe. Elle a commencé il y a deux ans à interviewer des femmes de toutes les conditions, les états d'esprit, les religions, pour se rendre compte qu'au final elles avaient toutes des points communs. La sévillane affirmait la veille de la représentation : "Carmen est dans toutes les femmes et nous sommes toutes Carmen, c'est ce que j'essaye de refléter dans mes chorégraphies".
Avec une mise en scène soignée et un corps de ballet exercé, Maria revisite donc le mythe de Carmen, qui ne serait pour elle qu'un cliché construit par la société masculine. Le spectacle passe ainsi en revue tous les sentiments par lesquels les femmes peuvent passer, se sert du cante féminin - remarquables Loreto de Diego et Ana Ramon - pour exprimer la rebellion face à la maltraitance des femmes, les dépendances héritées d'une soumission ancestrale aux traditions, aux religions, à la mode... Elle revendique la parité entre hommes et femmes en dansant sur la musique de Bizet avec un éventail rouge dont elle se sert comme muleta, utilise une voix off dans toutes les langues pour affirmer l'universalité de Carmen, parle du rapport entre Carmen et sa mère dans une nana puis un duo de castagnettes avec l'excellente danseuse Macarena Ramirez... Il y a aussi une chorégraphie ingénieuse avec des tabliers, balais et plumeaux qui descendent depuis le haut de de la scène, qui semble dénoncer la condition des "amas de casa", ainsi qu'une autre ou Maria se sert d'un patchwork de torchons comme manton. Les cantaoras interprètent des martinetes, cante masculin par excellence, invoquant de nouveau la parité.
On perçoit aussi un sentiment de "déjà vu" dans d'autres spectacles de Maria : c'est le cas de la chorégraphie avec des bâtons, ou encore des tanguillos.
Le grand moment du spectacle est lorsque Maria danse sur la musique de Bizet, en redingote de lumière et peineta géante. Superbe.
Les musiciens sont cachés par un voile en fond de scène durant presque tout le spectacle, c'est assez dérangeant d'entendre leur musique sans les voir, même si cela est dû aux contraintes scénographiques. Il faudra attendre la fin du spectacle pour les voir accompagner Maria sur un baile por solea de Triana, décidément très à la mode cette année au festival.