C'est une Sala Compañia debout qui a applaudi à tout rompre Luisa Palicio, l'artiste invité Javier Baron, et les talentueux musiciens qui les accompagnaient. Une ovation entièrement méritée pour cette danseuse que l'on voit rarement dans les festivals mais dont le baile, comme nous le soulignions déjà il y a quelques années, est le comble de l'élégance et du raffinement.
Comme tant d'autres danseuses, Luisa Palicio est partie à Séville pour se former. Elle y a appris les bases de l'école sévillane de baile, notamment tous les rudiments de la bata de cola auprès de Milagros Mengibar qui l'a prise sous son aile et est devenue sa maestra. Aujourd'hui Luisa est sans doute la danseuse qui domine le mieux cette technique. Pourtant elle n'en a pas abusé dans le spectacle "Sevilla" dédié à la capitale andalouse dont elle se considère comme la fille adoptive. Il faudra attendre les derniers bailes pour la voir enfin danser en bata. Avant cela, après une voix off qui parle de Séville, Luisa débute la représentation dans un tout autre registre, dans une robe noire, en jouant avec un voile noir, tandis que du haut du balcon de la sala compañia, une voix grave l'accompagne. On est en pleine semaine Sainte, l'ambiance est sombre et solennelle. Le cante est magnifique mais déroutant, car cette voix masculine appartient à la cantaora d'Arcos de la Frontera Ana Gomez, une vraie découverte que cette artiste qui est également une saetera reconnue, même si Ana prend plus tard dans le spectacle des libertés dans l'interprétation des cantiñas del Pinini avec cette curieuse version "Que mi pelicula era muy grande" au lieu de "la penita mia". Cela semble à la mode de jouer sur l'ambigüité, car dans Torobaka d'Israel Galvan et Akram Khan, la chanteuse avait aussi un timbre très grave. Quant à Luisa, elle a des bras splendides, d'une souplesse inouïe. Javier Baron, l'artiste invité du spectacle, la rejoint pour un paso a dos des plus réussis, puis elle danse seule sur la zambra "La Salvaora", avec des cambrés vertigineux, avant d'enchaîner avec manton sur une deuxième zambra de Caracol "Carcelero, Carcelero". Les tangos sont eux de facture sévillane, El Titi et Triana. Et quel plaisir de voir revenir Javier Baron por cantiñas, il n'a rien perdu de son dynamisme et de son art et offre l'un des plus beaux moments du spectacle.
Luisa Palicio apparaît ensuite dans une splendide bata de cola bleu azur pour un duo entre piano et castagnettes. Alors que les chanteurs interprètent des sévillanes qui évoquent Séville, et qui figurent parmi les plus belles, comme "La primera vez fue en Sevilla" que dansait Merche Esmeralda dans le film "Sevillanas" de Carlos Saura, Luisa danse en bata et éventail. On est bien loin du folklore associé à la sévillane.
Et puis le grand moment, c'est la solea, mais pas une solea classique, une solea de Triana, pas évidente à danser. Et là, encore une fois, le baile de Luisa est à couper le souffle, elle manie la bata à la perfection, avec une telle légèreté et une telle aisance, que les olé nous viennent spontanément. C'est sublime.
A seulement 28 ans, Luisa Palicio, qui avait gagné le giraldillo de l'artiste révélation à la Biennale, est bien partie pour décrocher celui du Festival de Jerez cette année.