Cela faisait plusieurs jours que les mines étaient tristes au vu des récents événements, mais le génial spectacle "Franito" a su redonner le sourire aux spectateurs présents à l'Odéon de Nîmes en cette fin de journée marathon du 16 janvier.
Difficile d'imaginer que c'était la première tant le spectacle est bien rôdé, et pourtant "Franito" a été créé en à peine dix-huit jours de résidence au Théâtre de Nîmes entre décembre 2014 et janvier 2015.
"Franito" est né d'une rencontre, celle entre le comédien Patrice Thibaud et le bailaor Fran Espinosa. Les deux artistes ont été amenés à travailler ensemble sur le spectacle "Don Quichotte du Trocadéro" du chorégraphe José Montalvo. La tournée du spectacle les a menés l'an dernier jusqu'à la Réunion et au Japon. Des liens évidents se sont révélés entre les deux artistes qui se respectent et s'apprécient mutuellement. D'origine espagnole par sa mère qui vient d'Estrémadure - ses grands-parents sont de Caceres et Badajoz - et attiré par le flamenco depuis toujours, Patrice Thibaud confie qu'il attache beaucoup d'importance aux rapports humains. "Avec Fran c'est une très belle rencontre, artistique et humaine".
LA GENESEPatrice Thibaud raconte : "En fait à l'origine c'est Patrick Bellito qui me disait depuis des années "Tu devrais faire un truc sur le flamenco", mais moi ça ne me disait rien du tout, je ne connaissais pas assez le flamenco pour me sentir à la hauteur de cette demande-là, et puis tous les ans il me répétait ça... Et cette année quand il me l'a reproposé j'ai dit ah, avec Fran c'est peut-être possible. J'avais envie de travailler avec Fran, donc j'ai dit banco, on verra, et je ne regrette pas. Donc merci le festival de Nîmes, merci le Théâtre de Nîmes, merci François Noël, Patrick, voila, merci à tous [...] J'ai eu très vite l'idée de faire une mère et son fils. On voulait raconter aussi des références qu'on a, lui de sa mère et moi de ma grand-mère espagnole, et on a donc cette vieille dame qui meurt à la fin, ce n'est pas très gai mais c'est aussi ça la vie, c'est aussi ça le flamenco. Je voulais essayer de mêler burlesque et émotion, et après tous les sentiments que l'on retrouve dans le flamenco, sur la vie, les sentiments humains, sur ce qui nous prend les tripes, voilà."
LE SPECTACLEEn espagnol le suffixe "ito" sert à désigner affectueusement quelqu'un. Franito pourrait donc signifier "Petit Fran". Un titre qui, on le découvrira au cours de la représentation, est vraiment emblématique du spectacle.
Franito raconte l'histoire d'une mère et son fils. Patrice Thibaud campe un personnage de mère absolument déjantée, tyrannique et tendre à la fois, son interprétation est formidable. Franitoooo, crie-t-il régulièrement d'une voix aigüe tout au long du spectacle... déclenchant avec son accoutrement et ses facéties l'hilarité des spectateurs. Patrice Thibaud est une pointure dans son domaine. Son parcours atypique - il n'a pas suivi de cours au conservatoire mais a emprunté les chemins de l'improvisation - laisse la porte ouverte aux scènes les plus incongrues.
Fran Espinosa se glisse avec aisance dans le rôle du petit garçon. Il est aussi attentionné avec sa "Ma" comme il l'appelle, qu'avec sa propre mère dans la vie. Franito qui a une passion pour le flamenco chante une nana, danse un fandango avec un balai dont les frottements sur le sol lui servent à marquer le rythme ternaire, transforme la table et les chaises de la cuisine en taureau tout en chantant des alegrias de Cordoba, se servant de la nappe comme d'une muleta... et d'un petit cochon en caoutchouc comme percussion, déguise sa mère en Don Quichotte en se servant d'une passoire et d'un balai... Il faut une bonne dose d'autodérision pour réaliser la performance de Fran Espinosa. Prix national de baile flamenco en 2007, le bailaor a certainement quelque chose en plus, un réel talent pour la comedie et le cante. Nous en avions déjà eu un aperçu dans la création Asa Nisi Masa de José Montalvo dont la tournée se poursuit en 2015. Fran chante et danse d'autres pinceladas de flamenco - guajira, bulerias - qui s'intègrent judicieusement à la pièce mise en scène conjointement par Patrice Thibaud et Jean-Marc Bihour. Les transitions sont soignées et les protagonistes intelligemment disposés sur scène.
Cédric Diot à gauche de la scène parvient à demeurer stoïque tout au long de la pièce. Alors que le public est hilare, pas un sourire ne filtre sous son chapeau et ses lunettes de soleil, il s'efface devant ce duo complice qui occupe tout l'espace scénique tout en distillant sa musique.
Mais vient le moment grave de la pièce. "Ma" s"est éteinte. Franito tente de la réveiller avec une llamada de caña mais rien n'y fait, "Ma" s'est tue et ne dira plus : "Franitooo !". Il chante ojos verdes pour exprimer sa peine.
En résumé Franito est un spectacle décalé, rempli d'humour et de poésie, orchestré par de grands artistes, le rayon de soleil du festival. A voir absolument.