"A pie" est le titre du nouveau spectacle de Daniel Doña. Le danseur l'a intitulé ainsi pour établir un parallèle entre sa façon de vivre et son processus de création qui se veut délibérément lent car le danseur est dans la vie quelqu'un qui aime prendre son temps.
"A pie" est une proposition déroutante et pleine d'audace. Déjà sur le papier on pouvait s'attendre à quelque chose d'original en sachant que côté musique "en vivo", il n'y aurait qu'un violoncelliste. Mais quel violoncelliste ! La musique de José Luis Lopez, virtuose déjà entendu dans des spectacles de flamenco, oppresse autant qu'elle captive. Son instrument fait voyager le spectateur à travers les sonorités et il chante même avec une facilité déconcertante. Parfois une lointaine voix enregistrée prend le relais.
C'est dans un voile de fumée que commence le spectacle. Daniel Doña et Cristian Martin dansent de façon ultra synchronisée, presque robotisée. Des ombres se dessinent derrière eux. Il s'agit de danse espagnole revisitée, mais le flamenco est sous-jascent. Il apparaît entre deux pirouettes et pas de jota, sous la forme d'un martinete - avec la voix d'Enrique Morente -, d'une caña ou d'une farruca métallique. L'occupation de l'espace scénique est bien pensée, avec parfois des surprises, lorsque par exemple le positionnement des trois artistes révèle une diagonale. Le travail de synchronisation entre la danse et les lumières - à attribuer à Olga Garcia - est très recherché ; lors de l'une des danses l'éclairage se positionne alternativement sur le buste des deux danseurs, puis sur leur jambes, et enfin, le plus impressionnant, sur le buste de l'un en même temps que les jambes de l'autre, provoquant un effet visuel inédit.
Et que dire de la danse des deux protagonistes ? Daniel Doña et Cristian Martin sont de magnifiques interprètes, avec une énergie et une technique incroyable. La gestuelle est impeccable, et le résultat est esthétiquement très réussi. Ils réussissent aussi le pari d'éxécuter la majorité des danses en duo, avec une telle complicité, une telle connexion, qu'ils ne forment parfois plus qu'un.
Même si le spectacle est au nom de Daniel Doña, la place accordée à Christian Martin est aussi importante que la sienne, du moins du point de vue de l'interprétation. Un superbe trio - format qui rappelle un peu la dernière création de Rocio Molina - qui a dérouté une partie du public de la Sala Compañia, dans lequel figuraient Rafaela Carrasco, La Moneta, mais aussi Marco Flores, entre autres. N'oublions pas que le Festival de Jerez n'est pas seulement axé sur le flamenco, c'est aussi un festival de danse espagnole, dont Daniel Doña et Cristian Martin sont de fervents et talentueux représentants.