Alors que la polémique enfle avec les récents coups d'éclat d'un humoriste tristement célèbre, voici un spectacle qui a le mérite de remettre les choses à leur place. La nouvelle création d'Israel Galvan "Lo Real - Le Réel - The Real" est en effet un témoignage historique poignant, celui du génocide gitan, et par extension, de toutes les communautés opprimées, qui a eu lieu durant la seconde guerre mondiale.
"Des cadavres poussent des fleurs" peut-on lire dans le sur-titrage projeté au dessus de la scène tandis qu'Israel Galvan danse à l'horizontale, allongé sur le dos. Des fleurs il y en aura plus de six millions, car le destin des tsiganes est étroitement lié à celui des juifs. Les mêmes wagons les emportent vers une destination sans retour où leurs bourreaux ont soigneusement organisé leur extermination. Tomas de Perrate termine son cante por solea par un cambio - que l'on trouve souvent dans les alegrias de Cordoba - qui tombe à point nommé : "Yo no me subo en el tren, ni en segunda ni en tercera" - je ne monte pas dans le train, ni en seconde ni en troisième - mais en remplaçant le dernier tercio par "Courage fuyons" au lieu "je monte en première". Les images du film "Canta Gitano" de Tony Gatlif viennent illustrer cette sombre page de notre histoire.
Les constrastes sont saisissants. Aux publicités et fêtes légères s'oppose la noirceur des camps de concentration. Un piano dressé à la verticale se tranforme en une clôture de barbelés que Belen Maya, qui campe une très crédible tzigane d'Europe de l'Est en sabots, tente désespérement de franchir. Israel danse sur une tôle ondulée, ou encore des barres de fer qui symbolisent les rails du chemin de fer. Le son métallique qui en émane a un goût de sang et de cendre.
Avant que le piège ne se referme, Belen Maya pointe le public d'un doigt accusateur semblant signifier "Vous savez, mais vous n'avez rien fait pour l'empêcher".
La création est portée par une équipe hors du commun. David Lagos n'en finit pas de progresser, amplifiant toujours plus ses capacités vocales mais en conservant cette nuance qui laisse place à l'émotion. Quant à Tomas de Perrate, quelques vers de sa solea suffisent à vous donner le frisson. Les percussions habiles d'Antonio Moreno se fondent aux gestes des danseurs si bien que l'on a du mal à distinguer d'où vient le son. La Uchi fait vibrer son art du bout des doigts, et Isabel Bayon, dans un rôle de composition montre une audace que l'on ne lui connaissait pas. Mention spéciale pour la musique composée par Chicuelo, qui s'affirme de plus en plus dans ce domaine. On regrette juste le peu de place laissée à Bobote et Caracafé, qui dans la version parisienne du spectacle avaient un rôle plus important.
Il est certain que la soirée du vendredi 10 janvier dans le cadre du 24ème Festival Flamenco de Nîmes n'aura laissé personne indifférent au Théâtre de Nîmes, récemment rebaptisé Théâtre Bernadette Lafont en hommage à la comédienne disparue cet été.