Alors que quelques heures auparavant le flamenco était inscrit officiellement sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité, un patrimoine humain de la guitare flamenca faisait sur la scène du Zénith de Paris devant 4800 personnes une démonstration de virtuosité.
Quoi de mieux pour fêter l'inscription du flamenco au patrimoine mondial de l'humanité qu'un concert de l'une de ses figures les plus emblématiques, connue bien au dela du microcosme flamenco, la légende Paco de Lucia ? de surcroit à Paris, ville où se situe le siège de L'Unesco. La date des deux événements a coïncidé avec on ne peut plus de succès.
Il y a quelques mois, Paco de Lucia avait reçu la distinction "Doctor Honoris Causa" du Berklee College of Music de Boston. Il est d'ailleurs le seul espagnol a avoir obtenu cette distinction. Une reconnaissance de l'immense apport du musicien à la musique en général, puisque du flamenco il s'est souvent éloigné en allant vers le jazz, la bossa nova et même le classique. Paco de Lucia est considéré aujourd'hui comme le plus grand guitariste, toutes musiques confondues. Sa discographie est un voyage à travers la géographie flamenca dans laquelle il rend hommage à travers chaque titre aux lieux et aux personnes qui ont croisé sa route.
Le guitariste d'Algeciras avait laissé lors de son concert aux 50 ans du Festival de La Union le 10 août 2010 un souvenir si exquis qu'il était normal de vouloir renouveler l'expérience, d'autant que cette gigantesque tournée de 80 concerts est annoncée, on espère à tort, comme la dernière du génie de la guitare flamenca.
C'est le Zénith, l'une des plus grandes salles de concert de Paris, que le producteur du spectacle Romero Diaz avait choisie. Peut-être cet espace immense, plus que le Grand Rex où il avait joué en 2007, n'était-il pas le plus propice pour y accueillir le maestro, mais en même temps il fallait une telle salle pour satisfaire la demande et pouvoir proposer des tarifs raisonnables.
Une extraordinaire ovation accueille le maestro qui débute son concert seul sur scène par la minera "Callejon del muro" de son album Siroco, une magnifique pièce d'une extrême sensibilité qui met en valeur son toucher subtil, son trémolo délicat et ses picados experts, morceau qu'il remate comme à son habitude por Fandangos de Huelva. C'est le seul passage solo qu'il offrira aux aficionados parisiens.
Dès l'arrivée des autres artistes sur scène c'est le rythme qui prend les commandes, qu'il ne lâchera plus jusqu'à la fin de la soirée, avec des palos essentiellement festifs qui donneront de la latitude au groupe pour s'exprimer. Le boeuf flamenco débute par la Buleria por Solea "Antonia" de son dernier album, Cositas Buenas, superbe thème écrit pour sa fille cadette, qu'il joue également dans le film 'Flamenco Flamenco' de Carlos Saura, mais qu'ici le cante puissant de David Maldonado et Duquende écrase un peu sur la fin. Suit un duo complice et dynamique entre guitare et percussions por Bulerias, puis l'entraînante Alegria "Calle Municion" de l'album Luzia avec tout le groupe, l'harmonica d'Antonio Serrano y apportant une touche très jazzy. L'interprétation de "Cancion de amor" extrait de son disque Zyriab(1990) est un grand moment d'émotion, enchaîné directement par la Buleria "Que Venga el Alba" de l'abum Cositas Buenas avec le cante de Duquende et David Maldonado et l'harmonica toujours efficace d'Antonio Serrano. Le bailaor Farru conclut la première partie par une très courte intervention de deux minutes au baile, accompagné au cante par la fin de "Patio Custodio", autre buleria de Cositas Buenas.
Dans la deuxième partie, Paco de Lucia et son groupe interprètent des Tangos, puis la fameuse Rumba "Chanela" de l'album Entre Dos Aguas durant laquelle les solos d'harmonica et de basse sont fortement ovationnés. La Siguiriya "Luzia" composée pour la mère du guitariste plonge l'assistance dans une profonde nostalgie, les voix camaroneras des cantaores ne faisant que renforcer cette impression, alors que Farru monte sur le petit tablao de la scène pour offrir un baile fougueux mais comme toujours assez décousu, fait de coups d'éclats et sans doute démesurément applaudi. Après la présentation des artistes, chacun d'eux se lance dans un solo. Le rappel verra revenir le groupe pour interpréter la fabuleuse rumba "Entre dos aguas", devant un public debout, massé de chaque côté de l'orchestre pour être au plus près de la scène.
Notons l'excellente insonorisation de la salle et les éclairages soignés (douche de lumière qui éclaire chacun des protagonistes), ainsi que les légendaires plantes vertes cette fois bien présentes en fond de scène (elle n'y étaient étrangement pas à la Union). Pour une raison inconnue, Diego Amador et son piano prévus en première partie se sont volatilisés.
Le seul reproche que l'on peut faire à cette formule serait peut-être le manque de palos jondos.
A l'heure où l'on parle de sauvegarde du patrimoine, le patrimoine de la guitare, bien au dela de la guitare flamenca, est lui bien vivant. Pacotrimonio de la Humanidad.