Une fois encore, le festival des Suds a consacré quelques unes de ses prestigieuses scènes à des artistes du flamenco et fait la part belle,
selon sa logique inscrite dans les musiques du monde d'aujourd'hui, à des projets ancrés dans la modernité : l'étonnant mélange de chant japonais
et de guitare flamenca mêlé au slam-rap du groupe Syl Nuvaanu s'est poursuivi par un moment vraiment précieux avec Jorge Pardo,
le flûtiste et saxophoniste madrilène, accompagné de deux compères avec lesquels il a réalisé Vientos Flamencos,
pour finir avec Diego Carrasco et son groupe, accompagnés de VJ Sajaya (Séville). Une soirée qui s'est terminée en beauté,
et à laquelle ont succombé nos reporters un peu "gonzos" toujours aussi consciencieux et passionnés.
Du côté des stages de flamenco, les élèves ont eu la chance d'avoir comme maître de baile le talentueux Joaquin Grilo,
danseur aussi simple qu'exquis (qui a accueilli dans son stage niveau professionnel la gagnante de notre grand concours en partenariat avec Les Suds), ainsi que la belle Isabel Gasquez de Marseille et Pascal Gomez.
Des stages de palmas avec Jeronimo Utrilla et de cajon avec Nan Mercader ont complété la série d'apprentissage autour du flamenco.
À 18h00, arrivée en trombe sur la place Paul Doumer dans le très agréable quartier de la Roquette et son dédale de rues,
où le groupe Syl Nuvaanu revisite le flamenco de façon étonnante. Ce groupe multiculturel né de la rencontre du français David Michelet
et de la japonaise Tsutomu Kawasaki à Séville, mêle la guitare flamenca, la danse, les percussions, le chant japonais,
le slam et les percussions de Fatal Urgence. Malgré la touchante et belle chanteuse-danseuse japonaise Tsutomu et une démarche originale,
notre cameraman, habitué à l'opéra, est au bord de la sieste. L'ambiance est plus onirique et solennelle que festive,
comme annoncée, fortement empreinte de la culture japonaise de la chanteuse-danseuse. Une formule qui nous avait donné l'eau à la bouche
et qui nous rappelle qu'il ne suffit pas d'être original.
" El que canta su mal espanta " : Celui qui chante allège ses peines (refrain castillan)
À 19h30, le bien nommé Moment Précieux accueille Jorge Pardo et son trio, au calme et au frais de la cour de l'Archevêché.
Soutenus par la Fondation Ecureuil, ces instants bénéficient vraiment de conditions d'écoute favorables et possèdent un côté "salon de musique"
très agréable, loin des concerts plus festifs et dansants. Petit impair de la présentatrice : elle présente Desvarios alors que c'est
Vientos Flamencos qui sera joué finalement en raison de l'absence du guitariste flamenco Agustin Carbonell "El Bola", remplacé par Juan Diego.
Cela n'aurait pas traumatisé le public, apparemment heureux d'écouter ou de découvrir une figure du flamenco-jazz en Espagne trop rare en France. Hélas !
Le flamenco nous a souvent habitués à ces changements de dernière minute... Jorge Pardo fait partie d'une génération de flamencos qui
a innové dans le flamenco, en pratiquant la fusion avec de nouveaux instruments. Une génération qui a grandi aux côtés de Paco de Lucia
et Camaron de la Isla. Avec des musiciens comme Carlos Benavent, ils sont un peu les piliers de la modernité flamenca,
de ceux qui ont apporté au genre un nouveau souffle salutaire. Ce n'est quand même pas rien de le voir à Arles,
programmé dans la même soirée avec une autre figure du flamenco moderne, s'il en est, l'agité et talentueux Diego Carrasco.
Jorge Pardo arrive seul sur scène, s'excusant de ne pas parler français. Il est pardonné d'office : son langage musical est si communicatif
qu'il fait disparaître toutes les barrières de langues ! Il dédie son premier morceau en solo (une taranta) à Camaron. Pour le second morceau,
il est rejoint par le jeune percussioniste Sergio Martinez, "venu tout droit du quartier populaire du Lavapies à Madrid".
Juan Diego, le guitariste, arrive pour le troisième morceau. Il est de Jerez, mais il faut reconnaître qu'il manque un peu d'aire.
Le trio enchante une grande partie du public avec des compositions très flamencas, qui revisitent différents palos du flamenco,
dont la célèbre alegria que Camaron avait dédiée à La Perla de Cadiz.
Un très beau concert même si les musiciens qui accompagnent le flûtiste semblent parfois hésitants,
un moment musical délicieux qui a valu un rappel aux musiciens. Au cours du concert, un vent particulièrement frais et sournois
a fait sortir quelques indélicats à qui Joaquin Grilo, ulcéré, a lancé (à juste titre, selon nous) "A donde vais ? Estais locos ?"
(où allez vous ? Vous êtes fous ?)
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Retour en grâce aux Forges
Que dire de la présence de Diego Carrasco à Arles ? Ici, tout le monde l'apelle Diego : "On va au concert de Diego !".
Une complicité qui s'est prolongée avec le public et des allusions fréquentes à la localité, comme la légendaire rivalité nîmoise et arlésienne,
que Carrasco a très bien sentie et de laquelle il s'est beaucoup amusé... Aficionados et sensibilisés au flamenco étaient nombreux à attendre ce moment
et à s'être présentés à l'avance à l'Atelier des Forges. Nul doute, c'est une histoire tissée par des coups de coeur et des programmateurs audacieux...
L'émotion était au rendez-vous entre l'artiste jerezano et le public. Il était venu présenter l'excellent disque Inquilino del mundo,
produit par Nuevos Medios, au Théâtre Antique en 2001, alors qu'il était inconnu du grand public.
Sa prestation flamenca très rock ainsi que sa personnalité impétueuse et inspirée avaient marqué les esprits, et Dieu sait s'il en a de l'esprit !
Par la suite, Diego est souvent revenu à Nîmes, où il est un habitué du Festival de flamenco mais où ses prestations n'ont pas toujours
été à la hauteur. Ce qui n'a été nullement le cas au cours de cette soirée, où il a fait montre d'une énergie communicative qui a enflammé l'assistance.
Outre la présence de Jorge Pardo et Joaquin Grilo dans le public, le jeune torero arlésien Medhi Savali et son impresario Agustin (une figure d'Arles)
étaient au tout premier rang. Diego n'a pas manqué de rappeler qu'il doit beaucoup à la directrice du festival (Marie-José Justamond) avec des Maria par çi,
des Maria par là comme s'il en pleuvait, car c'est une des premières à l'avoir programmée en France, et nous, on lui donnerait une médaille rien que pour ça.
Diego Carrasco a été programmé au cours des Nuits des Forges aux anciens Ateliers de la SNCF. L'idée est de continuer la fête jusqu'à
4h00 du matin avec des concerts qui intègrent l'image video et le vijing. Arles prépare sa transformation en cité de l'Image
(elle est déjà le centre de la photographie internationale au cours des RIP) et sera capitale en 2013 aux côtés de Marseille,
au vu de son investissement culturel. Qu'à cela ne tienne ! Diego Carrasco et ses flamencos, les divines ensorcelleuses gitanes Las Peligro et
"le groupe de jeunes" sont venus avec VJ Sajaya, VJ sevillan, qui a joué ses images live pendant le concert. Une première, d'où le titre de flamenco
"éléctrique", formule qui sied bien à l'énergie de Carrasco et de son groupe. En ce qui concerne la partie image, nous étions très curieux de voir
le résultat. La confrontation avec l'image est de plus en plus présente sur la scène flamenca, notamment en Espagne.
Elle l'est moins en France, où le flamenco est peut-être trop souvent interdit d'innovation ?
À cause du vent et pour des raisons techniques, il n'a pas été possible de jouer les images sur scène et l'écran
a été déplacé sur un mur à gauche de la scène, dans l'espace immense de l'Atelier. Diego Carrasco n'a eu de cesse d'inviter le public à regarder
les images revisitées (à merveille) de Fernanda de Utrera, baignée de rouge, et de tauromachie (avec les toreros
Rafael de Paula et Curro Romero sur le morceau Torero, grand moment). C'est la première fois que David Garcia Lopez collabore avec des flamencos.
Peintre, créateur graphique, il joue plutôt pour des groupes de metal et de rock et est un activiste de la scène alternative à Séville !
Il n'a rien vu du concert puisqu'il a joué ses images en live depuis la régie et qu'il a eu le nez sur son ordinateur pendant tout le concert.
Il est donc agréablement surpris et soulagé des retours positifs, et en dépit de la mauvaise position de l'écran.
Malgré cet imprévu technico-climatique, le défi a été relevé avec maestria. En dehors des images de Fernanda de Utrera et des toreros de Jerez
et de Seville qui lui ont été suggérés par Diego Carrasco, il y a aussi des images personnelles de David : des vues de Séville et du Guadalquivir,
jusqu'aux escargots que l'on mange dans les petits bars de son quartier : Triana, la mythique.
Les détracteurs ont coutume de dire que le flamenco et la tauromachie sont des arts très imagés à la base, et qu'ils ne nécessitent pas de surplus.
Il y a pourtant toute une littérature et moult plasticiens qui puisent leur inspiration dans l'arte flamenco et torero.
Il est vrai aussi que la mode exige, parfois à tort, d'intégrer de l'image à tout prix, mais ici, elle est venue "augmenter" en beauté :
le traitement de l'image ajouté à la musique donnant une dimension esthétique nouvelle. On espère que ce mariage entre l'image et la musique
se poursuivra, tant le flamenco (et la tauromachie) sont des éléments d'inspiration.
Côté scène, Diego Carrasco et sa "banda" au complet ont délivré un flamenco dans un esprit très rock et très festif.
Particulièrement en forme et en beauté, le poète ne s'est pas départi de son esprit et de son humour habituel.
Il était entouré de ses deux choristes, Las Peligro (les dangers) qui ne sont autre que les soeurs de Remedios Amaya
(et que l'on peut voir toutes réunies dans le film Latcho Drom de Tony Gatlif).
Elles chantent, elles dansent, elles jouent à la manière de demoiselles de Rochefort qui seraient nées dans un quartier gitan de Jerez
et leurs voix sont indissociables du travail de Carrasco. Les musiciens sont Curro Carrasco "de Navajita" à la guitare,
Jorge Vidal à la guitare électrique, Ignacio Cintado à la basse, Juan Grande à la batterie et Ané Carrasco au cajon et percussions.
Carrasco a toujours travaillé avec des plus jeunes que lui et porté les nouvelles générations (le rap de Tomasità).
La carrière discographique de Diego Carasco - Inquilino del Mundo, A tiempo et ADN Flamenco - a été revisitée avec une bonne
dose de rock et de arte. L'ambiance était électrique, à tel point que Joaquin Grilo a sauté par dessus les barrières et
a entamé une buleria endiablée avec le maestro : un moment de spontanéité et de génie comme seuls les flamencos savent le faire.
Pour ceux qui veulent voir et revoir ces pedazos d'artistas, Diego Carrasco et son groupe joueront à nouveau
le vendredi 22 janvier 2010 au Théâtre de Nîmes dans le cadre des 20 ans de son Festival de Flamenco.
Pour finir, cette soirée placée sous le signe de la découverte et des retrouvailles a été un beau succès
que le concert de Carrasco a conclu en beauté, en montrant comme le disait Jorge Pardo dans l'entretien qu'il nous a accordé,
que la pureté du flamenco est davantage dans son esprit, une essence indéfinissable, unique.
Et que la musique est un art incroyable qui transforme l'instant présent en pur bonheur, comme cela a été le cas.
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