L'interview de la semaine 

Manuel Agujetas, cantaor por derecho 

 

C'est dans l'après-midi qui précède son concert au Théâtre Romain Rolland de Villejuif dans le cadre du Festival Sons d'Hiver que Manuel Agujetas m'accorde ce court mais intense entretien, en présence de sa femme japonaise Kanako et de Chantal Albertini. Spécial mais généreux, moins fantasque que l'on me l'avait décrit, l'artiste légendaire se prête au jeu avec une franchise inouïe.


Manuel quels sont tes souvenirs d'enfance ?

Je n'ai pas eu d'enfance, rien de plus que travailler dans une forge. Lorsque j'avais 7 ou 8 ans, mon père me faisait mettre le fer droit, jusqu'à l'âge de 16 ans. A l'âge de 17 ans je suis parti chanter à Madrid.

Pourquoi t'es-tu retiré à la campagne ?

Parce que j'adore la campagne. Par exemple si je reviens d'un festival en Espagne à 4h du matin, je ne vais pas dormir. J'arrose, je laboure, jusqu'à ce que le sommeil vienne. C'est ma façon d'être. Et c'est ce qui me plaît le plus, la campagne. Mais la campagne ne me donne rien, c'est mon travail qui me fait vivre, ce que je cultive je l'offre à mes amis.

Qu'as-tu appris des coutumes de Kanako et toi que lui as-tu enseigné ?

Je suis tombé amoureux d'elle et elle de moi. Comme je suis un homme international, il n'y a pas quelqu'un de meilleur ni de pire. Ce qu'il manque, ce sont des gens bien, peu importe d'où ils viennent.

Kanako : Il m'a enseigné le chant, pas la danse.
Agujetas : Pour savoir danser, il faut savoir chanter.
Kanako : Si tu ne sais pas chanter, tu peux pas danser, ce que lui m'a enseigné c'est chanter.
Agujetas : Quand j'ai connu Kanako elle avait déjà mes disques là-bas au Japon.

"Pour savoir danser
il faut savoir chanter" 


©Murielle Timsit

Quelle serait ta définition du flamenco ?

Le flamenco pour moi est le plus grand, mais le flamenco puro. Il y en avait quelques-uns. L'un était Antonio Núñez Chocolate et l'autre Agujetas. Il n'y en a pas d'autre. Je ne sais pas si vous allez en penser du bien ou du mal mais je suis un homme très clair. Je suis un oiseau que l'on ne peut attacher. Mais je dis toujours la vérité. Alors le flamenco qu'il y a aujourd'hui...ça ne vaut rien. Ca n'a rien a voir avec le flamenco, c'est une mauvaise copie. Le flamenco c'est ce que tu vas voir ce soir ici : puro, chanter puro. Parler de pureté est un mensonge. C'est d'Espagne que ce flamenco est sorti et voilà, il n'y a pas de pureré ni de flamenco. Il y en avait qui savaient le faire, mais aujourd'hui il n'y a plus personne.

Que manque t-il au cante d'aujourd'hui ?

Il lui manque que personne ne sait, personne ne sait chanter. Il n'y a rien à l'intérieur, car il faut être desespéré et naître désespéré pour faire ça. Si tu n'est pas déchiré, c'est un mensonge, tu glapis comme les chiens, tu fais du bruit...

Il y a des pays où on chante avec quatre phrases, comme au Japon, au Mexique, et en Espagne. La solea a trois ou quatre phrases, ça dépend comment ça commence. Le Japon c'est pareil, quatre ou cinq phrases dans la chanson. Mais en Amérique et dans ce pays aussi, pourquoi commencent-ils à chanter ? et quand finit la voix ? il n'y a pas de fin.

"Plus personne ne sait chanter" 


©Murielle Timsit

Le palo qui te plaît le plus c'est le martinete ?

Ce n'est pas que ça me plaît plus. Les chants les plus grands sont les siguriyas, la solea est très jolie aussi, très tendre et très triste, mais la siguiriya est le père du cante. Le martinete c'est autre chose pour nous. Quand nous chantons por martinete, ça se réfère à notre famille, au passé en prison. C'est ce qu'ils faisaient dans les prisons où ils étaient enfermés. Agujeta se met soudain à chanter por martinete, un moment magique à retrouver dans l'audio de cette interview.

Tu écris tes propres letras aussi ?

Je ne sais pas écrire alors je les dicte à Kanako qui me les écrit.

D'où te vient ton inspiration pour chanter avec tant de force ?

Ce qu'il y a en moi, le coeur, et me fâcher avec elle dit-il en désignant Kanako. Tous les couples se disputent pour quelque chose, pour n'importe quoi.

Ce soir tu seras accompagné par Antonio Soto avec qui tu as souvent travaillé, es-tu un homme fidèle ?

Agujeta fait venir Antonio Soto dans la loge mais ne répond pas directement à ma question. C'est le meilleur guitariste qu'il y a en Espagne pour l'accompagnement, mon guitariste Antonio Soto. Je souligne que c'est aussi celui de Fosforito et Antonio ajoute qu'il accompagne beaucoup d'autres artistes en me citant une longue liste.

Comment vois-tu ton parcours aujourd'hui ?

Bien, je le vois bien. J'ai parcouru le monde, je suis allé partout sauf en Australie. Je suis analphabète de la lecture et de l'écriture, mais je ne suis pas analphabète du monde.

Merci à Chantal Albertini pour sa contribution à la réalisation de cette interview, et à Luis Roman pour son aide dans la transcription en espagnol.

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flamenco-culture.com - Murielle Timsit - 06 Février 2009