David, tu viens de Cadiz, quel est ton premier souvenir du flamenco ?
La première fois que j'ai écouté du flamenco c'est par le biais de ma sœur aînée Maria-Angeles qui était danseuse. Elle ne s'y consacrait pas professionnellement mais elle a dansé une saison. Alors comme j'étais petit, j'avais 6/7 ans, mes parents m'emmenaient toujours la voir. Donc mes souvenirs ce sont les festivals d'Andalousie où je la regardais danser. Et moi ça ne me plaisait pas, pendant ce temps-là je dormais et...tu comprends ce que je veux dire, toute la journée écouter les chanteurs, regarder les danseurs...Ca c'est le premier souvenir. Et ensuite vers 10 ans, mon père a fait partie des membres de la première peña de Camaron DE LA ISLA, la première de toutes, avant celle de San Fernando y compris. J'ai le souvenir d'avoir vu Camaron à l'âge de 11 ans. Voilà les premiers contacts que j'ai eus avec le flamenco.
Quelle serait ta définition du flamenco ?
Je définirais le flamenco comme un art élastique qui peut transmettre autant la peine que la joie. C'est un art en perpétuel développement, le flamenco ne peut pas stagner. Je le définirais comme un art vivant.
Pourquoi as-tu choisi le cante et comment l'as-tu appris ?
En réalité le chant a été la dernière chose que j'ai apprise. J'ai commencé par apprendre la guitare avec SERRERA, un maestro de Cadiz qui est aujourd'hui disparu, mais la guitare ne devait pas s'ouvrir. Je n'étudiais pas beaucoup, j'avais peu de technique. Ensuite j'ai dansé, mais là non plus, je ne me voyais pas comme une figure du baile.
Et finalement le chant c'est sorti tout seul, car justement c'est quelque chose que je n'ai pas cherché, c'est inné.
As-tu des origines gitanes ?
Moi je dis que non. Mon père dit que si, que mon arrière-grand-mère était gitane de Jerez, de Santiago. Mais moi ça m'est égal, car j'ai grandi comme un non-gitan, mes parents ne sont pas gitans alors...Ca m'est égal, mais même si c'est le cas, je ne pense pas avoir des origines.
Tu as des amis en France, notamment à Lyon, nous les avions rencontrés l'année dernière lors de cette fameuse juerga au Festival de Nîmes...malgré ton parcours, tu es resté très humble, penses-tu que c'est ça l'esprit flamenco ?
Oui, j'ai des amis à Lyon. J'ai un ami à moi, Antonio que j'embrasse, tu peux l'écrire dans l'interview. J'ai beaucoup d'amis gitans à Lyon, comme Juan EL FLACO...Antonio a eu un enfant, il voulait que je vienne, mais je ne peux pas, j'ai beaucoup de travail...raconte David d'un air désolé. Ensuite je suis allé à Mont-de-Marsan où j'ai connu beaucoup de monde, comme Mélodie qui est ici ajoute David en souriant.
Pour ce qui est de l'humilité, je ne sais pas. Je pense que le flamenco manque d'humilité. Les gens du flamenco sont peu humbles. Je crois que le flamenco a beaucoup à apprendre des autres cultures. Les flamencos pensent souvent qu'ils savent tout, mais c'est un mensonge, il y a beaucoup à apprendre des musiciens classiques, des musiciens contemporains, et d'autres personnes, de la musique arabe par exemple. Nous devons être plus humbles.
"Le flamenco manque d'humilité"
As-tu des palos préférés ?
Oui. J'ai en particulier deux palos qui me plaisent beaucoup, qui sont la buleria et la siguiriya. La siguiriya me plait énormément et je m'y sens très à l'aise. Ce qui me plaît le plus lorsque nous allons faire la fête avec quelques amis dans un bar, c'est quand on se met à une table à chanter sans guitare ni rien, por solea, por siguiriya...c'est ça qui me plaît. La siguiriya et la buleria sont des styles qui me plaisent beaucoup. Les alegrias aussi, mais moi c'est vraiment la siguiriya et la buleria.
Dans les alegrias il y a des letras de jota aragonaise, sais-tu d'où celà vient ?
Je ne peux pas le certifier mais je pense que c'est dû au fait que les alegrias de Cadiz ont pour notation musicale celle des jotas aragonaises. La jota est une danse folklorique espagnole. Il y a un lien, je ne sais pas lequel, mais il y a un lien entre les alegrias et le folklore d'Aragon.
Q'est-ce qui a changé pour toi depuis que tu as gagné le Concours de Cordoue ?
En réalité les choses n'ont pas changé car selon moi je chante de la même façon qu'avant.
Ce qui se passe c'est que ça aide, par exemple ça me donne l'opportunité d'avoir été ici à Nîmes en solo. Je vais aussi être à Jerez seul au Palais de Villavicencio le 5 Mars. Cela t'ouvre des portes, les gens s'intéressent, au moins ils disent " Je vais aller l'écouter ". On dirait que les gens s'intéressent à toi car tu as gagné un prix, mais moi je n'ai rien changé.
Au concours de Cordoue tu as gagné deux prix nationaux très importants, le prix Camaron DE LA ISLA et le prix Manolo CARACOL. Ce sont des légendes du flamenco. Ont-ils été des modèles pour toi ? Sinon quels sont-ils ?
Bien sûr. Ce sont les références les plus grandes, tu imagines…Manolo CARACOL, presque le génie des génies, auquel je m'identifie...en plus à Cadiz on chante beaucoup comme CARACOL.
Que ce soit à Cadiz ou à Jerez, on a regardé CARACOL et on s'est référé à CARACOL pour apprendre le flamenco.
Ensuite CAMARON...je vais te raconter mon expérience personnelle : pour moi CAMARON est le plus grand, c'est celui qui m'a le plus transmis. J'écoutais le disque "Soy Gitano", et quand j'ai entendu ce disque, je l'ai montré à mon père et je lui ai dit "Papa, je veux chanter comme cet homme, je dois chanter comme ça", et si je chante, c'est grâce à CAMARON. Si je n'avais pas connu CAMARON je n'aurais jamais chanté, je t'assure, comme beaucoup de jeunes je pense. Ils ont écouté CAMARON et à partir de là ils ont décidé de chanter, danser ou jouer de la guitare. Ca a été une référence.
|
|
Avec toi et Chano LOBATO ici, c'est le choc des générations parmi les cantaores de Cadiz...
Oui c'est vrai. Chano LOBATO est le maestro parmi les maestros qu'il y a à Cadiz. J'adore la façon dont il chante et je l'adore en tant que personne. J'aimerais qu'il prenne bientôt sa retraite car il est très âgé et j'ai peur qu'il lui arrive quelque chose. Dimanche il n'était pas bien, j'espère qu'il va pouvoir venir à Nîmes, on ne sait pas encore. Quand Chano LOBATO va disparaître, c'est le cante de Cadiz qui va mourir, une génération de cantes de Cadiz va partir avec lui, et on ne pourra pas la récupérer, car l'expérience qu'il a on ne l'a pas, c'est triste mais c'est ainsi...
Aimerais-tu enseigner, donner des cours de cante, ou le fais-tu déjà ?
Je l'ai fait plusieurs fois à Sanlucar avec Gerardo NUÑEZ, et trois ou quatre fois à Rome dans une école de musique, mais en réalité je préfère laisser ça de côté pour quand je serai plus mûr, car je pense que plus tu es âgé plus tu as d'expérience et de connaissances, donc lorsque je serai plus vieux je pourrai transmettre aux élèves tout ce qu'il y a à transmettre. Pour le moment j'ai encore à apprendre.
"Quand Chano Lobato va disparaître, c'est le cante de Cadiz qui va mourir"
C'est la première fois qu'on te voit chanter en solo en France, avec grand plaisir, comptes-tu entamer une carrière solo ?
Merci beaucoup. Oui, c'est mon intention. Je ne souhaite pas arrêter de chanter pour la danse, c'est vrai que je chante moins pour le baile depuis le concours, et c'est une chose qui me plait car c'est une réalisation personnelle, mais le chant pour la danse me plaît beaucoup aussi. En fait Mercedes RUIZ est la seule danseuse pour qui je continue à chanter avec le danseur JUNCO dans le spectacle "Cadiz", pas plus, ils m'ont donné l'opportunité de développer mon art...j'ai beaucoup de choses à dire, beaucoup.
As-tu peur de monter sur scène ?
Oui, beaucoup. Plus je monte sur scène, plus les années passent et plus j'ai peur. Ca fait déjà 12/13 ans que je suis sur scène et chaque année qui passe la peur augmente.
Tu as travaillé avec plusieurs grands artistes comme Javier LATORRE, Cristina HOYOS, Vicente AMIGO...et maintenant Mercedes RUIZ, que t'ont apporté ces expériences ? Si tu devais choisir ton meilleur souvenir, quel serait-il ?
Je ne sais pas...je ne peux pas en choisir un, j'ai travaillé avec tellement de monde !
Mais je vais t'en donner trois qui pour moi sont des souvenirs spéciaux.
L'un d'eux par exemple est Vicente AMIGO. Ca a été vraiment spécial de travailler avec cette figure, avec cette énergie, il a une personnalité incroyable...
Ensuite il y a une personne avec qui j'ai beaucoup aimé travailler, c'est Cristina HOYOS, surtout pour ce qu'elle m'a appris du théâtre. Elle m'a appris à respecter le théâtre, à le connaître, à l'aimer...C'est une maestra.
Et je terminerai avec Mercedes RUIZ car c'est quelqu'un de très spécial pour moi. Elle a une technique incroyable, elle très flamenca et elle me paraît être une des meilleures danseuses.
A propos de Mercedes RUIZ, peux-tu me parler de ta vie au sein de la compagnie ?
Au sein de la compagnie, nous sommes tous égaux. On est tous amis, c'est la vérité, tu le sais car tu es venue nous voir. On s'aime et on se respecte beaucoup, il nous est arrivé de travailler même quand il n'y avait pas d'argent car nous aimons beaucoup Mercedes et son art. C'est la seule personne avec qui je l'ai fait jusqu'à présent car je l'apprécie beaucoup en tant que personne et en tant qu'artiste. C'est une personne spéciale, nous avons un lien spécial.
Tu as travaillé sur la création "Cadiz" avec Carmen DE LA JARA, JUNCO, Faustino NUÑEZ, peux-tu nous en parler ?
Le spectacle "Cadiz" était un hommage que nous voulions rendre à LA ARGENTINITA, qui avait fait il y a longtemps un spectacle qui s'appelait "Cadiz" aussi. Je ne figure pas dans le scenario mais avec Ricardo RIVERA nous avons beaucoup apporté au spectacle, même si ça ne se reflète pas dans le programme.
Avec qui d'autre aimerais-tu travailler ?
J'aimerais travailler en particulier avec deux personnes.
Tout d'abord Paco de LUCIA, pour ressentir ces moments avec le maestro, j'adorerai ça.
Et l'autre personne avec qui j'aimerais travailler c'est Chavela VARGAS. Tout le monde s'assombrit quand je dis ça mais...Je ne sais pas si tu la connais, c'est une chanteuse américaine, mais si tu as l'opportunité de l'écouter procure toi ses disques. Elle a des chansons qui sont vraiment plus des lamentations que du flamenco, il y a beaucoup de force dans sa voix et dans ses letras. Elle déjà très âgée...
Il y a une autre personne avec qui j'aurais aimé travaillé mais elle n'est plus là je n'ai pas eu le temps, c'est La Paquera DE JEREZ.
Tu as enregistré un disque de flamenco-fusion avec le groupe Levantito, peux-tu nous en parler ?
C'était en 1997 il y a déjà 11 ans. J'étais très jeune. Ca a été très émouvant. A Madrid, moi si petit dans ces hotels si grands, ces studios...C'était impressionnant. J'ai travaillé avec Miguel BOSE qui est un artiste espagnol très connu. Ce fût une belle expérience. De plus nous avons appris beaucoup de choses en studio, en direct. On a fait des concerts devant 5000/6000 personnes et c'était très impressionnant.
Quels sont tes projets pour l'année 2008 ?
Mon projet le plus proche est de sortir mon disque en Mai. Je le présente les 16 et 17 mai à la Sala Central Lechera de Cadiz. Je suis très content car parmi les musiciens qui l'ont enregistré il y a Moraito CHICO, Rafael RODRIGUEZ, Santiago LARA, Ricardo RIVERA, Keko BALDOMERO, Paquito GONZALEZ, qui est le percussionniste de Vicente AMIGO, Javier KATUMBA...ce sont tous des amis. Pour moi c'est une joie incroyable de présenter ce disque à Cadiz. Vous êtes invitées si vous voulez et si vous pouvez venir à Cadiz. Après la présentation du disque à Cadiz, Jerez, Séville, j'aimerais aller à Madrid et plus tard en France si j'ai l'occasion.
Remerciements à David PALOMAR, Carlos SANCHEZ, Houria MARGUERITE, Nadia MESSAOUDI, Aurora LIMBURG et à Mélodie qui est l'auteur de la très intéressante question sur la relation entre les alegrias et la jota.
|