L'interview de la semaine 

Daniel Doña : bailarin de flamenco 

 

Daniel Doña est un danseur qui ne passe pas inaperçu, il l'a démontré dans le spectacle En Sus 13. Originaire de Grenade et installé depuis plusieurs années à Madrid, c'est un artiste issu de la danse espagnole, doté d’un puissant charisme et d’un physique élégant qui donne une dimension nouvelle au baile flamenco masculin.


Qui est Daniel Doña ?

Qui est Daniel Doña ? Eh bien Daniel Doña, avant d'être bailaor est un bailarin, qui vient de la danse espagnole et du flamenco, un danseur un peu inquiet qui a besoin de la danse contemporaine pour s'enrichir et s'alimenter aussi.

Je suis un danseur un peu atypique car d'habitude les bailaores n'utilisent pas la danse espagnole, le classique ou le contemporain comme alliés. J'aime me lancer dans différents projets avec des différents styles et faire des recherches sur le mouvement de la danse, et le faire mien. Voilà qui est Daniel Doña.

Quel est ton premier souvenir de danse, et du flamenco en particulier ?

Mon premier souvenir c'est sûrement l'école où j'ai commencé lorsque j'avais 8 ans. A l'âge de 14 ans je travaillais dans les Cuevas là-bas à Grenade, et j'y suis resté jusqu'à l'âge de 18 ans, j'ai travaillé 4 ans dans les Cuevas du Sacromonte.

Le souvenir suivant que j'ai du flamenco c'est au Japon, car j'ai vécu là-bas pendant deux ans, ce fut le début d'un contact profond avec le monde du flamenco car je venais de Grenade, j'avais toujours travaillé avec les mêmes personnes, les mêmes guitares, les mêmes voix, et là-bas au Japon j'ai découvert de nouveaux timbres de voix d'hommes et de femmes, d'autres guitares, et celà m'a obligé à chercher en moi une nouvelle façon d'exprimer le flamenco.

As-tu eu des maestros de référence ?

En réalité j'ai eu peu de références. J'ai toujours reçu un bon enseignement à Grenade, ma maestra est Maite Galan, elle obligeait un peu ses danseurs à étudier l'histoire de la danse, pour savoir d'où venaient les palos du flamenco par exemple.

Ma référence est certainement Antonio Gades, mais pas tant pour imiter ses mouvements. Quand j'étais petit il y avait la trilogie de Carlos Saura, avec Carmen, El Amor Brujo, et je compris ses mouvements, c'était si clair pour moi que j'arrivais à l'imiter facilement, et ça me plaisait. Sa façon de marcher, de s'arrêter sur scène et seulement regarder. Gades est sûrement une référence importante pour moi.

Et au féminin ce serait Lola Greco. La façon de Lola de comprendre le baile... J'ai appris d'elle ce moment de concentration, cette façon de créer ta bulle au moment de monter sur scène.

Ensuite mes références sont aussi les personnes avec qui je travaille. Manuel Liñan, Olga Pericet, Marco Flores... ce sont vraiment des références pour moi dans le flamenco actuel.

"Je suis un bailarin
qui danse le flamenco" 




Te considères-tu plus bailaor ou bailarin ?

Bailarin. Je dis toujours que je suis un bailarin qui danse le flamenco. Je ne suis pas une personne qui fait du flamenco de façon aussi raciale qu'on le fait normalement. Je pense que je ne suis pas tellement orthodoxe, je ne recherche pas tellement la structure complète d'un palo, j'essaye toujours de chercher ailleurs et ça fait que je suis plus bailarin que bailaor.

Y a-t-il des artistes dans ta famille ?

Non, je ne sais même pas pourquoi je danse, c'est une famille de travailleurs très normale, mais qui n'appartient pas au monde du spectacle ni de l'art. Ils aiment beaucoup le flamenco, ce sont des aficionados mais il n'y a pas d'artiste dans ma famille.

Quelle serait ta définition du flamenco ?

Je définirais le flamenco comme un art atemporel, un art qui n'a pas de durée, c'est un art très ouvert, un art très vivant.

Le flamenco que je fais moi est un flamenco qui évolue. En sachant bien d'où vient le flamenco, quels sont les palos du flamenco, comment est la structure parfaite, on peut chercher et aller plus loin.

Mais je définirais le flamenco comme un art atemporel.

Quelle est selon toi la frontière entre le classique espagnol et le flamenco ?

Le classique espagnol, au sein de la danse espagnole, est je crois la grande oubliée. En Espagne on pratique la danse espagnole et le flamenco, mais à l'étranger, c'est très difficile de trouver des personnes qui pratiquent la danse espagnole, les castagnettes sont très difficiles à jouer. Et pour moi la danse espagnole est la branche du baile la plus difficile.

Dans les études de danse espagnole il y a quatre disciplines : le classique espagnol, le ballet classique, le flamenco, et l'école bolera. Donc il y a quatre danses en une.

Alors la différence c'est qu'un danseur de danse espagnole peut s'approcher plus facilement du flamenco, alors que pour un danseur de flamenco pur, se rapprocher de la danse espagnole c'est très compliqué. Et c'est le contraire avec la danse contemporaine. C'est assez facile pour un flamenco de se rapprocher de la danse contemporaine alors que c'est très difficile voire impossible pour un danseur de contemporain de se rapprocher du flamenco.

As-tu un palo préféré ?

Ce serait sûrement la farruca, une farruca instrumentale sans voix, avec seulement de la guitare.

Es-tu conscient de l'émotion que tu provoques lorsque tu danses ?

Non, en plus j'ai un peu le trac. J'aimerais sentir comment les gens voient mon baile, car ça m'aiderait à me livrer beaucoup plus au public. Je pense que c'est par rapport à ce que je te disais avant, tu te crées ta bulle, et tu ne prends conscience des choses que lorsque tu es dans ta loge. Mais jusqu'à présent je n'y pense pas non plus, ça me rendrait encore plus nerveux.

D'où te vient ton inspiration lorsque tu danses ?

Si c'est seulement un tableau où il n'y a pas de scenario, j'essaye d'écouter beaucoup mon corps, sentir où m'amènent les mouvements, quel est le dessin des mouvements...et ensuite si c'est quelque chose de scénarisé, je cherche dans ce qui se passe autour, mais je m'écoute toujours moi-même. Et c'est une chose que je fais toujours. Il y a beaucoup de gens qui dansent, il y a des gens qui dansent très bien, et il faut que chacun cherche sa façon de faire le baile pour trouver quelque chose qui soit différent des autres. Alors je m'écoute et je cherche toujours. [...] J'aime beaucoup enrichir, je n'aime pas créer une danse et la laisser telle quelle.

Tu utilises souvent les castagnettes, qu'est-ce que ça apporte de plus à ta danse ?

Je les ai laissées de côté pendant un moment, tout comme la danse espagnole et le flamenco car j'ai ressenti le besoin de faire de la danse contemporaine. Je les ai reprises il y a six ans et c'est tout ce que je sais faire comme percussion, les castagnettes et les pieds.

Quels autres types de danse as-tu étudié ?

Le jazz, j'ai suivi des cours de hip-hop, j'ai fait deux comédies musicales aussi, Hello Dolly et My Fair Lady. J'essaye toujours de chercher la ligne du mouvement mais sans m'éloigner de mon baile, c'est une forme d'apprentissage.

As-tu étudié d'autres arts scéniques comme le théâtre ?

Je suis un amoureux du théâtre et surtout des monologues. J'aime cette mise à nue qu'il y a entre le monologuiste et le public. J'ai fait quelques stages mais je ne suis jamais monté sur scène, j'ai été deux ans avec Cristina Rota. Mais je dis toujours "Zapatero a sus zapatos" (chacun est fait pour quelque chose).

Tu as travaillé avec Antonio Marquez et le Ballet Espagnol, que t'ont apporté ces expériences ?

Antonio m'a récupéré après le Ballet National d'Espagne. Je suis entré en 1999 au Ballet National, ce fut un chemin un peu difficile car c'était une époque de transition, il n'y a pas eu un bon feeling, je ne pensais pas que le Ballet National allait être comme ça, et ce fut vraiment une déception. Voir qu'on ne parlait pas d'art mais seulement de papiers, de signatures. Voir les gens sans danser, que c'était toujours les mêmes qui dansaient, c'est une chose un peu moche. Et Antonio Marquez m'a récupéré de ça. J'aime énormément Antonio, car c'est un très grand danseur, c'est un mythe vivant de la danse espagnole, ça il ne faut pas l'oublier. On met souvent en avant les jeunes, mais on oublie ceux dont on a appris, qui en plus sont encore vivants et qui continuent à danser, ce qui est le meilleur. Antonio m'a appris à marcher sur scène, il est très élégant lorsqu'il marche sur scène. Antonio est un homme très travailleur, TRES travailleur. Il arrive au Théâtre six heures avant sa représentation : il fait un cours de classique, un cours de danse espagnole, un cours de flamenco, et ensuite il fait le spectacle du début jusqu'à la fin en plus de la représentation. C'est un homme qui bosse énormément. Et surtout il m'a appris à aimer la danse même si par moments c'est très difficile. Si tu veux danser tu dois être là en bas du canyon et être très ouvert et debout.

Et par exemple avec Carlos et Miguel Angel du Ballet Espagnol, j'ai fait un montage sur Napoleon. Ils l'ont fait le 2 Mai et ils m'ont appelé pour faire le personnage de Napoléon, alors je suis un peu français raconte Daniel en riant. Avec eux j'ai appris à déguiser les choses sans être prétentieux, les déguiser pour rendre un peu plus facile le dialogue entre le public et le danseur. Car souvent nous les danseurs nous faisons notre propre film et ne nous rendons pas compte que celui qui regarde notre film est le spectateur, et que parfois il ne comprend pas. Je pense que c'est un manque de respect, il faut montrer au public ce que l'on veut faire mais de manière simple, car sinon les théâtres pour la danse vont se vider, car les gens vont penser que la danse est quelque chose de fou et de non accessible. Non, nous sommes des gens normaux qui faisons de l'art qui est facile à voir car tu n'as rien à comprendre, il faut seulement voir le mouvement et ce que te dit le mouvement.

Comment s'est faîte ta rencontre avec les artistes d'En Sus 13 ?

C'était il y a longtemps. Manuel je le connais depuis 25 ans, de Grenade, nous étions dans la même école, nous avons travaillé ensemble dans les Cuevas. Olga et Marco je les ai connus il y a 12 ans au Japon, c'est là-bas qu'est née notre amitié.

C'était clair pour moi que je voulais aller étudier à Madrid, pour Marco et Olga aussi alors nous avons loué une maison pour vivre ensemble. Et comme nous connaissions aussi Manuel on lui a proposé de venir et il est arrivé le mois suivant. Nous avons donc vécu un an ensemble, ensuite chacun a acheté sa propre maison, mais à partir de cette année dans la rue Marquez de Vadillo, on a commencé à créer le premier spectacle qui était ESS3 Movimento, puis Camara Negra... On a commencé à se connaître, à avoir des affinités, de l'admiration pour le travail de chacun, et c'est facile de travailler avec ses amis. Parfois c'est difficile, mais le résultat d'une collaboration avec des amis qu'en plus tu admires est tellement fructueux, c'est réconfortant...celà fait dix ans.

"Il faut se retourner
et regarder d'où l'on vient" 



Tu as aussi monté ta propre compagnie, Atakedona, il y a un jeu de mots dans le nom ?

Oui, c'était atakedoña au départ, mais il y avait aussi un garçon français dans le spectacle et donc un problème avec la eñe, alors on l'a enlevé. Atakedona fut un besoin que j'avais de créer un spectacle depuis le début jusqu'à la fin. Car d'habitude lorsque je travaille avec les autres, on est trois ou quatre à penser, alors c'est plus difficile de faire un spectacle personnel du début à la fin. Je voulais savoir si je pouvais ou non le faire, alors je suis resté un an avec ma compagnie. Ensuite nous avons décidé de créer Olga, Marco et moi une compagnie qui s'appelait Chanta La Mui. J'ai decidé de continuer à travailler avec eux, car je me suis senti très seul lorsque j'ai fait mon propre spectacle, et j'aime beaucoup la façon de travailler en commun avec les autres, car ça t'apporte autre chose. Je ne pense pas que j'aurais progressé autant seul qu'avec la compagnie.

Je n'écarte pas cette idée, peut-être dans 1 an, dix ans, vingt ans, je ne sais pas, j'aurai sûrement de nouveau un projet personnel, mais pour le moment la formule avec la compagnie fonctionne très bien.

Alors tu n'as pas de projet en solo ?

Si on m'appelle pour faire des passages de 15, 20 ou 30 minutes, mais un projet depuis le début jusqu'à la fin, non.

Tu donnes des cours et stages ?

Les gens commencent seulement à comprendre que la danse espagnole a beaucoup de qualités de mouvement, et j'ai plus d'opportunités de donner des stages à l'étranger qu'auparavant, car d'habitude on ne donne pas de stage de danse espagnole, on ne fait que du flamenco.

J'exerce ma fonction d'enseignant à Madrid à l'Académie Amor de Dios. J'essaye toujours de prendre deux semaines pour faire un stage, ou bien je donne des cours durant une période de deux mois.

A l'étranger les stages que je donne sont plus de flamenco, et ça me plait, mais ça me rend triste que les gens ne cherchent pas plus dans la danse espagnole qui est l'origine en réalité du flamenco. Celà me rend triste que les gens sautent cette étape qui est tellement importante pour avoir des pieds et des tours propres. Ces étapes sont occultées et ça se voit un peu chez les gens qui dansent en dehors d'Espagne. Il faut se retourner et regarder d'où l'on vient.


Questions, montage audio, traduction : Murielle TIMSIT

Remerciements à Daniela Lazary d'Arte y Movimiento

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flamenco-culture.com - 19 Octobre 2008