Lorsqu'on arrive à Marseille par l'autoroute nord, la "Bonne Mère" en face, on peut voir sur la gauche l'enseigne lumineuse du "Théâtre Toursky", nom fascinant pour ce théâtre de la cité phocéenne, "historique" par ses engagements passés. Théâtre de quartier en plein coeur de La Belle de Mai, mi-guindé, mi-canaille, initiateur de Radio Grenouille, du Festival Russe, de la Nuit de l'Anarchie, grand célébrateur des cultures méditerranéennes au cours des éditions Mai-Diterranée. C'est là, Promenade Léo Ferré (une figure qui hante encore les lieux), que se déroulait le IVème Festival International de Flamenco de Marseille du 20 au 24 mai 2008.
En réalité, ce n'est pas le quatrième festival de flamenco car cela fait plus de 10 ans que le Toursky diffuse annuellement du flamenco sur ses planches. Le directeur Richard Martin, poète et comédien, et son équipe ont toujours eu à coeur de programmer les sonorités noires et profondes de l'Arte flamenco. Ils avaient déjà soutenu la création du premier Festival International de Flamenco en 1997 au cours de Mai-Diterranée 97. L'initiative revenait aux danseuses Isabel Gasquez, Anita Dagorn et Ines Nunca de l'Association Guadalquivir, dissoute depuis, mais qui avait jeté le feu aux poudres et convaincu les programmateurs que le flamenco pourrait devenir un rendez-vous très fréquenté et prisé des marseillais. Le Toursky a souhaité continuer l'aventure flamenca dans son théâtre rouge et noir et a conçu la Nuit du Flamenco où l'on a pût voir la Furia Del Baus, la Compagnie de Danse Flamenca Carmen Cortes, Javier Latorre et la Cuadra de Sevilla, Antonio el Pipa, Paco de Lucia, Vicente Amigo, Esperanza Fernandez, Javier Baron, Eva La Yerbabuena, Duquende...beaucoup de grands noms du flamenco à l'international.
Depuis quatre ans, la direction artistique du festival est assurée par José Luis Gomez et Flamenco Production, maison très investie dans le flamenco, à qui l'on doit des festivals flamenco un peu partout en France (Paris, Argelès, Marseille...) et les tournées de Paco de Lucia, Farruco et Duquende. Flamenco Production s'investit également dans la production de disques et de DVD avec Flamenco Records (Duquende, Chicuelo, un film sur Farruco imminent...) et a repris Flamenco Magazine, qui avait connu une interruption, souhaitant en faire une tribune pour le flamenco en France, où il est le premier magazine papier du genre.
Cette année, Flamenco Productions a présenté deux de ses formations : le groupe Chispa Negra, qui était déjà venu au Toursky, et la compagnie En Klave Flamenca, avec une nouvelle création. Excepté la soirée Tremplin découverte(s), qui n'a pas tenu ses promesses en matière de programmation (les programmes de théâtre sont imprimés au moins un an à l'avance...), le public était au rendez-vous, et le théâtre n'a pas désempli malgré le tarif des places, qui pose toujours quelques problèmes à une partie du public à Marseille, je ne sais pas dans les autres villes, mais ici c'est récurrent.
Dans une ville qui compte beaucoup d'écoles de danse, le baile était à l'honneur avec Manuel Gutierrez de Chispa Negra, bien connu à Marseille, et le danseur Manuel Liñan d'En Klave Flamenca, dont tout le monde parle comme d'une bombe. Mais aucun des deux n'étaient présents ! Décalage entre la programmation très avancée du théâtre et le planning des artistes. Si Chispa Negra en a souffert, En Klave Flamenca avait le jeune Alfonso Losa Lopez, bailaor distingué, et l'excellente Maria del Mar Martinez.
Le cartel de cette année ne présentait pas de têtes d'affiche et de variété dans les propositions pour appâter une petite partie de l'aficion phocéenne, très attachée à certaines figures et aussi à un style de flamenco plus pur, plus sauvage. Beaucoup, par manque d'ouverture, ont donc manqué ces bons moments musicaux avec les guitaristes Diego Cortes et José Luis Monton.
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La grande terrasse du théâtre était investie par le barbecue de Flamenco Productions, une excellente initiative pour les carnivores. Un barbecue, ça crée tout de suite de la convivialité : le côté chiringuito, le bocadillo, la cervezita, la fumée de la carne, la douceur de l'air printanier...Cette année, après la louable tentative de La Meson, il y a deux ans, c'est le Centre Solea qui a participé aux animations sur la terrasse avant les spectacles. Cette terrasse qui fait rêver plein de flamencos à Marseille et qui promet tant de juergas matinales sous les étoiles...En attendant, c'est José Fernandez, bassiste et chanteur de retour à Marseille après une carrière au Liban, qui a tenu le haut du pavé tous les soirs avec son groupe, en interprétant un melting-pot musical surprenant : Jaco Pastorius, Django Reinhardt, Paco de Lucia, des tangos gitanos puros, des rumbas, de la musique arabe...
Autour du festival, Isabel Gasquez et l'association Ana Ana avaient organisé un stage avec Alfonso Losa Lopez à Los Flamencos. Aux dires de La Fabia, Alfonso Losa s'est avéré un très bon pédagogue malgré la difficulté apparente de son style de baile, assez impressionnant, il faut dire.
Pour les intellectuels et les ravis des études ibériques, Valerie Molero, auteur, présentait son ouvrage Magie et sorcellerie en Espagne au siècle des Lumières (éditions de l'Harmattan) ainsi qu'une exposition : la série des Caprices, gravures de Goya éditées par un libraire de Grenoble. Excellente idée qui vient rappeler l'esprit ensorceleur du flamenco, un grand thème de l'Amour en Espagne.
Cependant, il semblerait que les moyens ou les connexions aient manqués pour proposer plus de diversité après les spectacles et donner les moyens au potentiel artistique flamenco de Marseille et ses alentours de s'exprimer. Un peu de flamenco puro et spontané s'est manifesté vendredi soir, émergent doucement dans la plus stricte intimité, sur la terrasse désertée. Quelques jeunes hommes de Vitrolles étaient là et ont improvisé des bulerias sans guitariste. À des centaines de kilomètres de l'Andalousie, ces jeunes sont dépositaires d'un répertoire de letras et de cantes important et soulignent la survivance des traditions dans les communautés gitanes.
Malgré les aléas de la programmation, le IVème Festival de Flamenco a présenté une affiche enthousiasmante très orientée sur la musique et la danse, mais avec des directions très distinctes. Chispa Negra a présenté un flamenco fusion assumé et enjoué, En Klave Flamenca a montré un profond attachement aux racines. On serait tenté de faire un parallèle entre les deux compagnies phares du festival ; l'énergie avec laquelle elles ont joué leur flamenco actuel.
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