Quel est ton premier souvenir du flamenco ?
Comme je suis de Jerez qui est un lieu empreint de flamenco - nous avons du flamenco un peu partout, à la radio, à la télévision… -
nous sommes donc habitués à en écouter depuis notre plus jeune âge, et ce même si je ne suis pas issu d'une famille de flamencos,
à l'exception de mon jeune frère David.
Donc le premier souvenir, je ne saurais dire, probablement lors d'une fête, une réunion de famille ou le mariage d'un cousin
où quelqu'un se mettait à chanter. Un de mes oncles chante et joue un peu de la guitare aussi.
La première fois que j'ai entendu du flamenco, c'était donc certainement lors de la première fête.
Quels sont les artistes de flamenco qui t'ont le plus marqué, guitaristes ou non ?
Beaucoup mais je retiendrais plutôt des guitaristes car en toute logique, dès l'enfance, chacun se dirige vers ce qui l'attire le plus.
Ainsi, je me souviens avoir vu Paco de Lucia à la télévision lorsque j'étais enfant. Sabicas m'a également beaucoup marqué, mais c'est venu un peu
plus tard.
Je sais que cela peut manquer d'originalité, ça fait un peu cliché, mais je pense que Paco de Lucia est celui qui vraiment m'a donné
le coup de foudre et fait prendre conscience que moi aussi je voulais faire ça, toute proportion gardée naturellement.
C'est quelque chose de très fort, alors si je ne devais retenir qu'un seul nom, ce serait Paco, Paco de Lucia.
Lors de ton récital à Nîmes en Janvier 2009, on a vu que sur la forme tu restais assez traditionnel
avec seulement la présence de palmas et cajon sur scène. Tandis que sur le fond, les morceaux sont plutôt de facture moderne.
Est-ce un souhait de ta part d'apporter comme un son nouveau ?
Oui probablement. Il y a beaucoup de facteurs qui entrent en ligne de compte. Comme je suis un peu au début de ma carrière soliste,
j'essaie de ne pas suivre la ligne qui était plus ou moins suivie jusque là avec la présence de basses, percussions, palmas, violon, pitos et flûte...
Naturellement, cela est très bien mais il faut aussi essayer de faire autre chose.
Je pense que beaucoup de guitaristes, et de très grands, le font un peu par peur que si tu te présentes quelque part avec seulement une percussion,
cela paraisse trop minimaliste. Je pense alors qu'ils viennent avec plus de monde car ils croient que cela aura plus d'impact,
car c'est plus impressionnant.
Alors j'ai voulu montrer que ça pouvait parfaitement se faire en étant seulement accompagné d'une percussion.
A Nîmes, je n'envisageais à la base que la présence d'une percussion sur scène.
Comme il y avait le groupe de palmeros (Carlos Grilo et Luis Cantarote) avec qui nous intervenions le lendemain pour le concert de Terremoto,
je leur ai demandé de bien vouloir m'accompagner pour la buleria finale. Mais à l'origine ce morceau ne devait être joué qu'avec guitare et percussion.
Je ne sais pas si la proposition a convaincu mais c'était un peu pour tester.
"Paco de Lucia
m'a donné le coup de foudre"
Tu es également compositeur. Comment te vient l'inspiration ? Change-t-elle en fonction de à qui est destiné le morceau : le chant, la danse ou toi-même ?
Oui, cela change beaucoup et en fonction d'autres facteurs également.
Je compose par période. Il y a des périodes de ta vie avec des événements qui se produisent et qui t'inspirent beaucoup de mélodies et d'histoires.
Cela vaut aussi bien pour la danse que pour la guitare comme soliste.
Et puis il y a des périodes où rien ne vient et c'est impossible, car tu es dans une autre phase, tu as la tête ailleurs...
je ne sais pas, cela dépend un peu de ton état. Pour ma part cela m'influence beaucoup.
Si tu es amoureux, des mélodies te viennent... Par exemple si tu es amoureux d'une sévillane, une jolie Sevillana peut en ressortir,
ça dépend un peu de ce qui arrive ! plaisante Alfredo.
En plus de la composition musicale, t'est-il déjà arrivé de composer des letras ? Si non, est-ce quelque chose qui t'intéresserait : t'exprimer artistiquement par des mots en plus que par des notes musicales ?
Je l'ai déjà fait aussi. Je me souviens par exemple que le danseur de Jerez Joaquin Grilo m'avait confié il y a plusieurs années
la composition musicale de son premier spectacle. Cela faisait bien sûr déjà des années qu'il dansait comme soliste et lorsqu'il
forma sa compagnie, il me confia la composition musicale, mais également l'écriture des letras de ce spectacle qui s'intitulait Jàcara.
Il en est ressorti quelque chose de très joli. Il s'agissait de letras écrites dans le contexte d'un spectacle de baile, rien de plus,
mais par la suite, cependant, des chanteurs m'ont demandé les letras pour les interpréter sur leur propre album parce qu'ils les avaient trouvées très jolies.
Je pense que je devrais me consacrer davantage à l'écriture de letras mais comme évoqué précédemment, pour l'heure je ne suis pas dans une période d'inspiration
propice pour écrire des textes. Je considère que c'est quelque chose de délicat. Griffonner des letras "faciles" et faire des refrains simples ne m'intéresse pas,
pour moi si je dois faire quelque chose de ce genre, il faut que ce soit de qualité.
Donc ce n'est pas vraiment le moment mais qui sait, demain, peut-être, en me levant...
En plus de la scène, tu travailles également en studio. Quelles différences majeures vois-tu entre jouer en studio et sur scène ?
Beaucoup. Entre le travail en studio et le travail sur scène, c'est comme deux signatures différentes. Les deux sont très distincts.
Le direct implique une autre pression, c'est une autre histoire. Tu montes sur scène et ensuite tu essayes...
Il y a des fois tu penses que tu as très bien joué, tu descends de scène très confiant et lorsque tu écoutes l'enregistrement que quelqu'un a fait
tu te rends comptes que ce n'était pas si bien que ça, et d'autres fois c'est l'inverse, tu as l'impression que tu as très mal joué,
et finalement le résultat s'avère bien meilleur que ce que tu pensais. C'est un autre concept.
Le studio est très différent. Il est plus mesuré et plus mathématique, dans le bon sens du terme, c'est plus tranquille.
De plus s'il y a des défauts, il est toujours possible de revenir sur ce qui a été fait. Tandis que la scène... voyons comment ça se passe aujourd'hui.
Y-a-t-il une dimension qui retient plus tes faveurs qu'une autre ou sont-elles toutes les deux complémentaires ?
Elles sont tout à fait complémentaires. Ce serait très difficile pour moi de choisir mais s'il le fallait absolument,
ce serait très compliqué mais je pense que j'aurais un léger penchant pour la scène. Cela me procure d'autres choses.
Le studio est aussi très intéressant dans le sens où il permet à une œuvre de perdurer tandis que sur scène,
nous n'atteignons que le public qui vient nous voir et qui passe.
En revanche en studio, que l'œuvre soit bonne ou mauvaise, elle est conservée et pourra être écoutée par les générations à venir.
Ainsi nos petits-enfants pourront écouter et nous dire s'ils aiment ou pas.
Ton alegria jouée à Nîmes me fait beaucoup penser à un morceau de samba du guitariste brésilien Baden Powell dans sa rapidité d'exécution, son énergie et son rythme. Bien sûr nous ne sommes plus là dans le flamenco mais t'arrive-t-il d'écouter des guitaristes, ou autres musiciens n'appartenant pas au monde du flamenco ?
Oui bien sûr, j'écoute beaucoup de choses, qui logiquement m'influencent.
Quand j'écoute une autre guitare qui n'a rien à voir, ou d'autres musiques qui n'ont rien à voir, ce n'est pas nécessairement de la guitare, cela peut être de la musique classique, ça m'influence, c'est sûr.
Je pense que nous les guitaristes d'aujourd'hui recevons tellement d'information, de musique, de matériel, qu'il serait dommage de ne pas en profiter.
Ce serait un péché de les laisser là. C'est comme laisser un cheval dans un coin sans le faire courir.
Il est normal que tout cela nous influence et je crois qu'il ne faut rien rejeter. Ce n'est pas forcément conscient mais tu es imprégné malgré toi.
L'ancien guitariste du groupe Genesis, Steve Hackett, était très imprégné de musique classique.
En voulant transposer à la guitare des morceaux de Bach joués au piano, il a été à l'origine du "tapping" qui a révolutionné la guitare rock.
Penses-tu que la guitare flamenca a déjà vécu ou pourrait vivre une révolution similaire, à savoir à partir d'éléments techniques empruntés à un autre genre,
ou est-ce un monde trop à part ?
Bien sûr que si et je pense même que cette révolution, nous la vivons un peu aujourd'hui.
Ce serait intéressant pour nous, guitaristes qui sommes déjà là, et pour la génération qui arrive derrière, de ne pas trop s'éloigner de
l'esprit du flamenco.
Evidemment, comme je t'ai dit avant, écouter beaucoup de musique t'influence, tu ne peux pas non plus te fermer.
Mais il faut conserver la base du flamenco et son esprit. Si tu veux te consacrer à ça et que tu es professionnel,
pour moi, il ne serait pas très bon de trop s'en éloigner. Il faut essayer de maintenir, dans une certaine mesure, l'esprit du flamenco.