Antonio Moya

Je veux mourir à Utrera

Simplicité, humilité et coeur sont des mots qui correspondent bien à Antonio Moya. Très sollicité depuis son arrivée à Nîmes, le guitariste basé à Utrera revient pour quelques jours dans sa ville natale à l'occasion du Festival Flamenco. La veille Antonio a participé à une séance éducative destinée au jeune public, et il a divinement accompagné le récital du cantaor José Mendez.

Lorsque je le retrouve le lendemain matin au Théâtre de Nîmes il a déjà fait une interview et s'apprête à poser pour un photographe du journal Libération. Mais la scène en plein travail est un endroit peu propice et nous décidons finalement de nous rendre au Bar du Théâtre. Face à la fenêtre, avec le rideau rouge en arrière plan, Antonio suit les consignes à la lettre avec une grande patience. Après la séance photo, il prend sa guitare pour jouer une magnifique taranta, celle qu'il interprètera le soir-même lors du spectacle très attendu "Antonio Moya al compas de su gente - Familia de la Buena". Un vrai cadeau.

Le parcours d'Antonio Moya est exceptionnel. Si sur sa carte d'identité il est écrit "Antoine", le sang qui coule dans ses veines est bien espagnol. Ses parents, originaires de Jaen, ont émigré à Nîmes au début des années 60 pour des raisons économiques. Lorsqu'il découvre réellement le flamenco à la Casa de España à Nîmes, en écoutant Pepe Linares et Néné Cortés, il ressent quelque chose d'indescriptible. Pour lui qui avait rejeté cette partie de la culture paternelle - Antonio se souvient que le dimanche son père écoutait des cassettes de Juan Varea - c'est une véritable prise de conscience. Le chant et la guitare, qu'il a toujours été incapable de dissocier, ne le quitteront plus.

Quelques années plus tard, comme il se rend souvent en Andalousie, Antonio se retrouve à un baptême à Utrera avec José de la Negreta, où il rencontre Bastian et Inés Bacan, La Perrata, La Tia Luisa de Pinini, Fernanda de Utrera, La Turronera... Pedro Bacan entend parler de lui, et ils se retrouvent au Festival de Nîmes où Antonio accompagne Fernanda et Bernarda de Utrera. Pedro propose à Antonio d'accompagner Inés Bacan lors du repas qui suit le spectacle, et lui dit de l'appeler la prochaine fois qu'il sera en Andalousie, ce qu'il fait. Pedro Bacan lui apprend beaucoup, de la meilleure façon qui soit, la tradition orale. "Pedro ne m'a jamais dit 'Fais-ça' " raconte Antonio Moya. "Le maître doit surtout transmettre à l'élève le fond, pas la forme. La guitare ce n'est pas la main, ce n'est pas les notes, c'est la façon d'interpréter, c'est le coeur que tu mets dedans, les silences, avoir le courage d'improviser, de ne jamais faire une musique figée. Pedro m'a appris ça et j'essaye de le faire."Lorsqu'on lui demande si ce n'est pas trop lourd d'être l'héritier de Pedro Bacan, Antonio répond sans concession qu'il n'est pas son héritier "Pedro était un génie, et moi je n'en suis pas un".

Antonio Moya vit à Utrera depuis plusieurs années maintenant. Il garde néanmoins des liens avec la ville de Nîmes où vit encore une grande partie de sa famille maternelle. Si celle-ci vient régulièrement le voir à Utrera, Antonio, comme il l'affirme dans le reportage diffusé récemment sur France 3 "Flamenco entre deux Suds", ne se verrait pas revenir vivre à Nîmes, car il s'y sentirait comme un lion en cage. "A Utrera c'est une autre mentalité, les gens sont fabuleux, je ne peux dire que du bien... le climat aussi... Nîmes est une ville que j'adore, mais pour vivre je préfère Utrera...Utrera c'est la meilleure ville du monde. Utrera c'est un village et une ville... ce que j'aime c'est que tu dis 'Je vais boire un café, j'en ai pour une heure', et finalement tu reviens le lendemain. C'est une grande famille en fait, tout le monde se connaît, et on aime beaucoup s'amuser. Il y a un esprit, un humour différent à Utrera, une façon de voir la vie différente. Je suis très content que mes enfants y soient nés, et je veux y mourir."

Les enfants d'Antonio Moya et Mari Peña, justement, sont bien partis pour suivre leurs traces. "Ma fille Manuela qui a 9 ans danse por buleria 'de escandal'" confie le guitariste. "Elle connaît toutes les letras de sa mère. Elle sait chanter mais elle est très timide. Je l'ai entendue chanter por siguiriya alors qu'elle jouait avec ses poupées. Elle sait toutes les letras et elle le fait bien en plus. Je crois qu'elle va être chanteuse ma fille, mais ça va être dans le genre timide, qui va commencer à chanter à 40 ans, comme Inés !"

Dans le spectacle qu'il présente à Nîmes le 12 janvier, Antonio Moya a souhaité réunir deux familles, sa famille d'enfance du sud de la France - José de la Negreta, Paco Santiago, Cristo Cortés, Pepe Linares - et celle d'Utrera, et montrer que lorsque le flamenco est fait avec la tradition et le coeur, il n'y a pas de frontière. "Ils se connaissent mais ils n'ont jamais chanté ensemble et il n'y aura pas de problème, car les codes sont les mêmes, c'est une question de codes, ça coule de source. "


Flamenco Culture, le 12/01/2013

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