Alonso Nuñez [Rancapino]

J'ai vécu l'époque de la faim

L'interview avec Alonso Nuñez "Rancapino" était prévue de longue date, depuis le mois de juillet où l'on avait eu l'honneur de le rencontrer aux Jueves Flamenco de Cadiz, une interview confirmée à son fils croisé à Jerez quelques jours avant le concert de Tomatito dont son père était l'artiste invité. Mais le rendez-vous s'est vite transformé en jeu de piste. Du Bataclan, il a fallu se rendre à Casa Pepe puis faire le guet en attendant le moment propice pour parler au maestro de Chiclana. Une attente largement récompensée.

Alonso, j'ai croisé ton fils Antonio il y a quelques jours à Jerez... il était avec un guitariste, El Madriles, tu sais celui qui a composé Noches de Bohemia...

Ah mon Antonio ? Hombre, c'est un très bon aficionado, il aime beaucoup le flamenco.

Si tu devais te présenter à quelqu'un qui ne te connaît pas, que dirais-tu d'Alonso Nuñez ?

Je dirais que c'est une personne normale, sans a priori sur quoi que ce soit, amoureux de l'arte flamenco par dessus tout, et aussi des bonnes personnes.

Pourquoi t'appelle t-on Rancapino ?

Parce que lorsque j'étais petit je courais toujours pieds nus, j'étais très bronzé, et un jour un vieil ami à moi m'a dit "A donde vas, que pareces a un pino quemao" - ou vas-tu, tu ressembles à un pin brûlé - , et de là est venu le surnom de "Rancapino".

Quand as-tu décidé de devenir cantaor ?

Je chante depuis que j'ai l'âge de 5-6 ans, chez moi, dans la rue, avec les amis... Ensuite quand je suis devenu plus âgé j'ai commencé à fréquenter les bars de mon village. Et j'ai décidé d'être cantaor vers l'âge de 14-15 ans. J'ai vécu une époque très mauvaise qui était celle de la faim, et je chantais pour un sandwich, tu comprends ? Je faisais çà pour faire rire les señoritos et cela est très désagréable.

Que signifie le flamenco pour toi ?

Le flamenco ? c'est la plus grande chose que j'ai pu avoir dans ma vie. Le flamenco est très vaste, et il est très grand. C'est une des cultures les plus importantes qu'il y a dans le monde.

La voix que tu as actuellement c'est ta voix naturelle ?

Oui, c'est ma voix naturelle, elle est comme ça depuis toujours. C'est celle avec laquelle je suis né. Mais bien sûr, j'ai eu la chance d'avoir l'écho flamenco.

Quel est ton maestro de référence ?

Caracol. Il y a eu aussi Aurelio Sellés, le patriarche des cantes de Cadiz, mais ma référence c'est Caracol. Je me souviens de lui à la Venta de Vargas lorsque j'étais petit, avec Camaron, que de bons souvenirs.

Quelles sont les différentes façons de chanter le tirititran qui introduit les alegrias ?

Le tirititran en fait c'est le début de l'intonation pour pouvoir chanter les alegrias. Il y a des personnes qui font un tirititran qui n'en est pas un, et d'autres qui le font avec la saveur gaditane, avec cette saveur si riche, tu comprends, mais pour ça, pour que ce soit flamenco, il faut naître avec. Mais avant les cantaores ne faisaient même pas le tirititran, ils faisaient juste Ay et commençaient la letra, il y avait très peu de cantaores qui faisaient Tirititran, tran, tran, tirititran tran tran tran, taratatran, tran tran, ça c'est né dans les festivals pour procurer plus d'émotion.

Ecris-tu des letras ?

Non, je suis un interprète. Les letras que je chante sont des letras traditionnelles qu'interprétaient les anciens cantaores comme Juan Talega, Mairena, Caracol, Juanito Mojama... Ce sont de bonnes letras, les letras populaires, les letras anciennes. Ce qui est vrai c'est que dans le cante, ceux qui ont un immense mérite, ce sont ceux qui chantent bien, parce que il y a des cantaores ou des cantaoras qui rendent le cante grand, qui le font flamenco, et te font avoir la chair de poule.

Mais il y a d'autres cantaores qui font du flamenco virtuel, et ça ne sert à rien.

Quel guitariste apprécies-tu pour t'accompagner ?

Je vais te répondre avec la plus grande sensibilité du monde. Celui que j'aimais le plus, c'était Melchor de Marchena. Mais il est mort, et je fais avec ce qu'il y a. Melchor de Marchena avait un bordonazo qui te transmettait et te faisait mal. Ecouter Melchor de Marchena t'inspirait pour chanter, ça c'est vrai. Je parle de Melchor de Marchena Padre hein ?

Et Habichuela et Cepero ?

Habichuela est très rancio, et Cepero est un grand festero, c'est un très bon tocaor aussi, très bon.

Quels sont tes souvenirs de Camaron ?

Toute la vie. Mais je n'aime pas trop parler de cela.

Tes enfants sont en train de suivre tes traces, on les a vus récemment à tes côtés dans un programme télévisé...

Mon Alonso oui, il chante, et mon Ana chante très bien aussi.

Ndlr : Alonso Nuñez Junior a un immense talent, avis aux programmateurs, il a de l'arte à revendre, tout comme sa soeur Ana.

Comme évoqué dans l'article sur le spectacle de Tomatito, juste après l'interview la fiesta s'est rapidement mise en route et le maestro Rancapino nous a fait un énorme cadeau en chantant por bulerias, soleares et fandangos.


Rancapino avec Fran Espinosa et Eva de Dios le 28 juillet 2011 à Cadiz.


Flamenco Culture, le 09/10/2011


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