Valencia, Canales et Grilo

Le tiercé dans le désordre

On nous annonçait la rencontre du siècle entre Canales et Grilo, aussi mémorable que celle de l'année précédente entre Canales (encore) et Manuela Carrasco. Des rencontres à Mont de Marsan, il y en a eu d'autres, il fut un temps où on appelait cela un mano à mano. Je me souviens encore de celui entre Lebrijano et Chocolate, je crois même que le café cantante était encore au théâtre, et plus récemment en 2015 la révélation : El Pele / Encarna Anillo, que d'élégance, que de respect.

Joaquin Grilo, José Valencia, Canales

© Sébastien Zambon / Festival Arte Flamenco

Le grand maestro au bagou inimitable dans un fragnol à faire pâlir les vieilles espagnoles de mon village assurait même qu'ils seraient trois sur scène : « Grilo, moi et Dieu ». Jueves de gloria ! Beaucoup plus modestement mais avec une analyse fine de l'état actuel du flamenco et une vision claire de sa démarche artistique, celui que les flamencos montois aiment à appeler « El niño de Mont de Marsan » annonçait un récital innovant dans sa forme en martelant la formule : « Le chant ne s'écoute pas seulement, il se regarde ».

Le propos de José Valencia avec « Directo » était donc de faire percevoir le cante autant par le langage corporel que par sa mise en espace. Deux tables côté cour et jardin, délimitent un champ de rencontres et d'échanges. Assis, seul ou avec le cuadro, debout derrière le guitariste, en face à face avec ses palmeros, seul à l'avant-scène et même en formation classique de cantaor pa'lante, il déroule ses letras issues de la poésie populaire qu'il défend ardemment. Du pregón aux dernières bulerías c'est une explosion de « valentía » qui force le public à réagir. Possédé par son chant il engage tout son corps comme dans une bataille, bascule sa chaise en arrière à la limite de la chute, mime en ramassant les « flores del campo », les alegrías sont jubilatoires, les tangos une vraie leçon du genre, la granaína émouvante, la soleá majestueuse et les bulerías … à foison, des canciones dignes d'une Lola Flores aux plus traditionnelles de Lebrija ou d'ailleurs. C'est un véritable festin qu'on pourrait qualifier de pantagruélique si ce n'était l'élégance qui sous tend tout le propos. Grand cantaor et grand comédien José Valencia trace son chemin avec intelligence et bon goût, son récital ouvre la voie à un nouveau traitement scénique du cante, mais il faut espérer que ce travail en solitaire ne nous privera pas de sa présence comme accompagnateur, rôle dans lequel il est devenu une référence.

A peine le temps de s'en remettre que le plateau accueillait le choc des titans pour «  Soniquetazo ». Antonio Canales avait annoncé une rencontre particulière riche en échanges avec Joaquin Grilo et des surprises. En fait à part la fantaisie introductive qui se répète en conclusion à l'identique, le show consiste en une alternance des deux danseurs qui interprètent chacun leur version du palo. La première surprise est visuelle, les deux garçons arrivent avec des foulards colorés aux poignets autour du cou et pour Canales à la ceinture. La ritournelle à la gloire des vedettes est plaisante. Les danseurs se toisent, se frôlent, se répondent et manifestement s'amusent bien. Le public est partagé entre l'amusement et la perplexité, on fait tourner les serviettes, certes, mais « con arte ». La deuxième surprise est structurelle, Canales nous gratifie d'une alegría en tono de caña se terminant par un fandango de Huelva du plus bel effet musical et Grilo revisite « María de la O » avec la complicité de Los Makarines, deux jeunes et valeureux chanteurs qui donnent une version moderne et flamenquissime de ce standard de la copla.La troisième surprise est émotionnelle, c'est celle de voir combien Joaquin Grilo a encore progressé en maturité et hondura. Quand d'autres à son âge vivent sur leurs acquis l'enfant prodige de Jerez réussit à étonner par sa grâce, sa force et son humour. Son jeu des déséquilibres s'est affiné, ses mimes assagis et la musicalité de ses pieds continue à faire des ravages. Moreno de verde luna por Soleá, picaro saleroso por Alegría et jerezano de pura cepa por Bulerias, Grilo a illuminé la soirée de sa maestria et je ne sais pas encore dans quel registre je le préfère, le zébulon comique ou l'archétype de l'élégance. Ce sera les deux mon capitaine, ils sont indissociables.

C'est donc avec un sérieux avantage que Grilo chaqueta grise et pantalon noir a franchi le premier la ligne d'arrivée suivi de près par Valencia chemise blanche et lunettes noires tandis que Canales avec la majesté qui sied à son rang de légende de la danse fermait la marche dans un revuelo de foulards, de couleurs et de sourires.


Dolorès Triviño, le 07/07/2016

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