Festival Flamenco de Nîmes 2025

Les 35 ans

Après Mont-de-Marsan en juillet, le Festival Flamenco de Nîmes a fêté début 2025 ses 35 ans d'existence.

Festival Flamenco de Nîmes


© photo Sandy Korzekwa

Journée d'étude, flamenco Queer et hommage à Antonio Gades

Le Festival Flamenco de Nîmes a toujours été un catalyseur de connaissance du flamenco. Il fut un temps où il y avait une conférence tous les midis et où l'on pouvait se nourrir aussi bien intellectuellement qu'émotionnellement, avec des interventions mémorables. Je me souviens encore de la première conférence à laquelle j'ai assisté, avec Bernard Leblon et Mossa la gitane.

Alors que l'offre de conférences a été réduite ces dernières années à la portion congrue, il faut souligner l'initiative très intéressante de cette édition qui a réuni durant une journée entière des chercheuses et chercheurs travaillant sur le thème du flamenco. Dans le jargon du monde académique on appelle cela une journée d'étude. En effet, ils sont de plus en plus nombreux à entamer des travaux de recherche sur le flamenco avec des angles, périmètres et questions très variés. Corinne Savy Frayssinet est sans doute la plus connue d'entre eux. Ses travaux l'on amenée à écrire un ouvrage consacré à Israel Galvan, "Danser le silence". Elle a partagé la journée avec, entre autres, Carolane Sanchez, Marjorie Nastro et Fernando Lopez. Carolane Sanchez est l'auteur du livre "Flamenco entre tradition et contemporanéité" paru l'an dernier. Marjorie Nastro est une aficionada originaire d'Avignon croisée au Festival il y a plusieurs années. Devenue artiste plasticienne, elle s'est spécialisée dans le collage numérique, discipline qu'elle a utilisée pour réaliser l'affiche du festival qui n'a laissé personne indifférent, où l'on découvre une Rocio Molina géante au dessus des Arènes de Nîmes, une partie de son anatomie masquée par un éventail. Passé l'effet de surprise, on s'est finalement rapidement habitué à l'affiche qui a donné une véritable identité à ce festival. Derrière cette affiche se cache un univers poétique et engagé, que l'artiste désormais établie à Barcelone décrit aussi comme une critique du patriarcat. Cette journée d'étude fut l'occasion pour Marjorie Nastro de présenter un autre travail, un oracle flamenco des plus prometteur, avant de laisser la place à la danseuse Paula Comitre. Interviewée par le musicologue de Grenade Pedro Ordoñez, la sévillane est revenue sur la genèse de ses spectacles présentés l'an dernier au festival. Malgré son jeûne âge, c'est une artiste mature, à la fois posée, souriante et respectueuse du public.

Flamenco Queer

Pour conclure cette dense journée d'étude, Fernando Lopez Rodriguez présenta une conférence dansée intitulée Flamenco Queer, une rétrospective intéressante de ce "mouvement" jalonné de présentation d'artistes comme Miguel de Molina, La Reverte ou Paco España, et entrecoupé de moments dansés par l'artiste, vêtu d'une tenue surprenante qui n'a laissé personne indifférent. Une intervention instructive, pleine d'humour et plutôt réussie, malgré quelques omissions volontaires ou non soulignées par certains membres du public. La performance s'est conclue par une danse sur la musique de Manuel de Falla "El amor brujo" (l'amour sorcier), qui a inspiré à Carlos Saura un célèbre film avec Cristina Hoyos et Antonio Gades.

Une transition toute trouvée pour le spectacle suivant à l'Odéon, hommage à Antonio Gades, par un danseur peu connu en France, le malagueño Rafael Ramirez, néanmoins familier du Festival puisqu'il fait partie de la compagnie de David Coria. Le bailaor était accompagné d'une fine équipe composée d'artistes expérimentés comme le guitariste de Cordoue Isaac Muñoz, membre de la compagnie de Maria Pages, ou encore la cantaora de Sanlucar Maria Mezcle. Ce fut un réel plaisir de retrouver cette dernière sur scène à ses côtés pour une collaboration spéciale. Déjà impressionnante il y a une vingtaine d'années en saetera à la peña Fernando Terremoto de Jerez, Maria a brillé tout au long de ce spectacle ambivalent, oscillant entre tradition et modernité. On retiendra comme moment fort la mariana exécutée en duo avec Rafael, la belle guitare d'Isaac Muñoz, la mise en scène originale et bien sur la performance de Rafael Ramirez et ses incroyables vueltas. A souligner aussi des éléments de mise en scène intéressants avec un cadre lumineux aux orientations différentes et une jupe en cuir portée par Maria Mezcle que Rafael utilisera ensuite comme bata de cola puis manton. De Gades on a surtout reconnu l'estampe de profil formée par le duo Maria Mezcle/Rafael Ramirez, à l'instar du couple Cristina Hoyos/Antonio Gades sur l'affiche du film "El Amor Brujo" de Carlos Saura.

RafaelRamirez
© photo Sandy Korzekwa

Maria Terremoto : du concert acoustique manqué au Grand Théâtre

Nîmes et Maria Terremoto, ça a commencé il y a près de dix ans par un rendez-vous manqué à l'Institut Emmanuel d'Alzon. Programmée depuis plusieurs mois pour un concert acoustique, elle avait été remplacée au pied levé à la dernière minute par David Carpio. Le festival ne lui en avait pas tenu rigueur, et l'avait invitée, cette fois à l'Odéon alors qu'elle n'avait que 19 ans.

Aujourd'hui à 25 ans, la jeune femme a gagné en maturité, aussi bien physiquement que vocalement. Manifiesto, titre de son dernier album, permet à la cantaora d'exprimer sa créativité en tant que musicienne, et de s'émanciper des traditions. Pas de micro posé sur scène, elle préfère le tenir à la main et s'entourer d'un clavier.

Elle n'avait que 10 ans lorsque son père lui a été brutalement arraché. Il a fallu se construire sans lui et continuer à porter l'héritage de sa lignée, un héritage qui peut parfois peser tel un fardeau, et certains ne lui font pas de cadeau. C'est une chanteuse de son époque que l'on a vue et entendue, qui a souhaité s'affranchir des codes du traditionnel récital, à l'instar de celui de l'Odéon, avec une mise en scène, des tenues et des instruments plus modernes, tout en conservant une dose de poésie.

A peine une heure de récital et puis s'en va. C'est court alors on reste un peu sur sa faim. On retiendra cependant trois moments marquants : l'hommage à son padre Fernando dont on entend le célèbre "Luz en los balcones" en fond sonore puis la version très mélancolique de la chanteuse, sa merveilleuse interprétation de zorongo au clavier, et la siguiriya interprétée dans les règles de l'art, avec un macho puissant, digne de son père dont c'était l'un des palos de prédilection. Le refrain choral des bulerias repris par le public à la demande de l'artiste était assez similaire à celui utilisé comme bande son du final du spectacle de Jesus Corbacho y el Choro l'an dernier. Mention spéciale pour Nono Jero à la géniale guitare d'accompagnement. L'artiste, ovationnée par le public, semblait très émue au moment de venir le saluer.

Maria Terremoto

Une dernière danse

Le samedi, petit tour au Carré d'Art pour voir l'expo de Marjorie Nastro qui finalement était à un autre endroit que celui indiqué par l'Office du Tourisme. A la place, j'ai pu découvrir le film "La gran mentira de la muerte" de Wu Tsang, tout en écoutant l'ensayo de Yinka Esi Graves qui répétait pour sa performance à venir.

Le soir à l'Odéon, rendez-vous avec la compagnie Estevez & Paños. La discipline de la danse, Nani Paños l'a ancrée en lui. On ne l'a pas aperçu la veille ni le matin du spectacle car il était déjà à l'entraînement. De cet art exigeant il tire le meilleur. Avec son complice Rafael Estevez, il a créé une pièce unique pour le festival intitulée "Danza para guitarra". On découvre Nani Paños, avec des jeux d'ombres qui font apparaître sur le rideau en fond de scène deux autres Nanis de chaque côté, comme pour annoncer qu'il n'est pas seul. En effet, sur scène, on découvre quatre chaises avec des vêtements posés sur chacun des dossiers. Accompagné par le concertiste Miguel Trapaga dont il se met à tourner les pages du pupitre, Nani Paños utilise le vocabulaire qu'il connaît le mieux, celui de la danse classique espagnole et de ses accessoires, avec des lignes magnifiques, pour endosser plusieurs rôles. On le voit à un moment enfiler une chemise blanche et en retrousser les manches : ne serait-ce pas un clin d'oeil à Rafael Estevez dont c'est un peu la marque de fabrique ? les scènes se succèdent avec d'autres changements de tenue et un Nani Paños qui donne tout sur scène, et emporte l'adhésion d'une partie du public. Cependant on a eu l'impression que ce spectacle n'était pas tout à fait dans le thème du festival, peut-être trop éloigné du flamenco, comme si on avait transposé une création du festival de Jerez (festival de danse espagnole et flamenco) à Nîmes. L'évolution du Théâtre de Nîmes comme scène contemporaine pour la danse peut permettre cela mais ce n'est pas forcément ce que le public du festival vient chercher à Nîmes.

Nani Panos
© photo Sandy Korzekwa

Avant la dernière représentation au Théâtre Bernadette Lafont, Amélie Casasole a tenu à remercier toute l'équipe du théâtre et les personnes qui ont oeuvré de nombreuses années pour le festival : Bernard Souroque, Pepe Linares, Chantal Miralles, Patrick Bellito et Roger Martinez. Le spectacle de clôture était le prix de la critique du Festival de Jerez, Alter Ego, qui avait aussi fait un carton auprès du public. Mais pas avec ses protagonistes initiaux, puisque Patricia Guerrero, à l'initiative de la création avec Alfonso Losa, ne pouvait être présente en raison de ses engagements avec le Ballet Flamenco de Andalucia. C'est donc la sévillane Paula Comitre, que le public du festival commence à bien connaître depuis l'an dernier, qui a remplacé la bailaora de Grenade. Un exercice pas simple du tout d'endosser les costumes de Patricia Guerrero, qui lui allaient parfois un peu grand, et surtout de s'approprier des chorégraphies et une dramaturgie qu'elle n'a pas créés. Mais la sévillane a remarquablement relevé le défi. Le duo formé avec le talentueux bailaor madrilène Alfonso Losa a parfaitement fonctionné et chacun a pu montrer l'étendue de son talent. Fuerza y vueltas pour Alfonso, grâce et précision pour Paula. Le cante n'est pas en reste : accompagné par la guitare de Francisco Vinuesa, Ismael de la Rosa a excellé por soleares de Triana, et Sandra Carrasco, une fois sa voix réglée, a été impériale tout au long du spectacle, modulant son phrasé avec beaucoup de nuances. Au final, un voyage dansé à travers un large éventail de palos flamencos (soleares, serrana, caña et cantes abandolaos, mariana, colombiana, cantiñas, entre autres, et enfin sévillane). Une succession de tableaux tous plus beaux les uns que les autres avec parfois des sonorités orientales précédées par un youyou (si si, on ne vous ment pas). Touché, le public nîmois a réservé une standing ovation aux artistes, de quoi clôturer sur une note très positive ce 35ème anniversaire.

Le off renoue avec les belles heures du Festival

Alors que ces dernières années, les aficionados se dispersaient dans la ville à l'issue des spectacles, Roé, l'artisan du Festival Off, a offert cette année un lieu de choix fédérateur à deux pas du Théâtre Bernadette Lafont, la Bodega Diego Puerta, où l'on a retrouvé l'enfant du pays Antonio Moya. On y a parfois ressenti des réminiscences des afters de l'Atria grâce à la présence de Cathia Poza, Cristo Cortés et les neveux d'Antonio Negro, entre autres.

La despedida

Cette année le Festival Flamenco de Nîmes avait une saveur particulière à plus d'un titre. D'abord parce qu'il fêtait ses 35 ans. Ensuite car des personnes manquaient à l'appel, comme la responsable de la communication Houria Marguerite, qui a quitté son poste à la fin de l'année 2024 et à qui l'on souhaite le meilleur pour la suite. Petit à petit, l'équipe du festival se réduit et se renouvelle, mais on continue à les voir dans les spectacles et les lieux emblématiques. Ce fut un plaisir de croiser Patrick Bellito, Houria Marguerite, mais aussi Nicolas Perrin et Isidoro de Guia Flama, à l'initiative avec le regretté Miguel Alcala du Festival des Peñas Flamencas de Lyon, et Marie-Catherine Chevrier, présidente d'honneur de Flamenco en France.

Deux jours ne furent pas suffisants pour évaluer l'ensemble du Festival qui d'après la direction est l'édition de tous les records puisque tous les spectacles ont affiché complet. Arriver à la fin d'un festival, ça laisse tout juste le temps de prendre la température, c'est un peu comme arriver après la bataille, comme un cheveu sur le puchero. Et là le puchero a eu un peu de mal à prendre.

35 ans, c'est visiblement le moment de tourner la page pour beaucoup. Et c'est le bon moment pour moi aussi de dire merci et "Adios" en tant que journaliste au Festival Flamenco de Nîmes que j'affectionne tant mais qui a tellement changé que je ne le reconnais plus. Une décision prise en 2024, avant de savoir que d'autres quittaient le navire. A l'heure où j'écris ces lignes je découvre que Chema Blanco, le conseiller artistisque du Festival abandonne aussi le Festival. Que va-t-il devenir avec la nouvelle direction du Théâtre Bernadette Lafont ? seul l'avenir le dira.


Flamenco Culture, le 29/01/2025


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