La compagnie Maria del Mar Moreno est l'un des emblèmes fort du flamenco de Jerez, notamment de par sa projection à l'international. Elle est aussi l'une des compagnies favorites du public qui a déjà attribué plusieurs prix à ses spectacles à l'issue du Festival. Ce fut le cas l'an dernier de "Sonidos negros", et en 2005 de "Jerez Puro Esencia", le spectacle que Maria del Mar Moreno a décidé de revister pour la programmation anniversaire du festival de sa ville natale.
Nous avions eu le privilège d'assister à la représentation unique de "Jerez Puro Esencia" le 16 janvier dernier à l'Institut du Monde Arabe. Un spectacle pur et authentique, le flamenco de Jerez dans sa représentation la plus traditionnelle, tel qu'on l'aime, avec pour seul ornement celui du cante. Une soirée à guichet fermé qui avait ravi les aficionados parisiens en cette froide soirée d'hiver. On attendait donc avec impatience la version "jerezana" du spectacle, qui promettait bien des surprises.
La première surprise, c'est l'arrivée des artistes au milieu du public. Le théâtre s'allume, et les artistes habituels et invités de la compagnie, défilent de chaque côté des rangs de l'orchestre jusqu'à atteindre la scène, au rythme de buleria. Puis le spectacle va se dérouler plus ou moins dans le même sens et le même état d'esprit qu'à Paris, dans une grande ambiance de fiesta de la buleria avec tous les protagonistes de la soirée, devant un public très enthousiaste.
La tension retombe avec le cante por fandango du talentueux cantaor de la famille des Carpio, "El Tolo", puis les tientos qu'Antonio Malena interprète dans un premier temps a palo seco, avant d'être rejoint par la guitare de Santiago Moreno et le baile inspiré de Maria del Mar Moreno, très connecté à la guitare de son frère. Antonio a choisi des letras différentes de celles de Paris, mais elles sont toutes aussi efficaces et de nombreux Olé se font entendre depuis le public. Cela vaudra à Antonio Malena quelques jours plus tard le prix de meilleur cantaor d'accompagnement décerné par la Fédération locale des peñas flamencas de Jerez. Ezequiel Benitez et Manuel Malena, le frère d'Antonio, interprètent ensuite respectivement des cantes de levante - malagueña et taranto. Maria revient pour un baile por romance des plus jondo, dans une nouvelle tenue créée spécialement par Fatima Canca, qui met en valeur la rondeur de son braceo et de ses marquages, et témoigne d'une grande complicité avec ses compagnons de scène.
La deuxième surprise c'est la présence de La Macanita de dos, à côté d'Antonio Malena, face à un écran qui diffuse des images d'archives. Ces images, ce sont celles de la série "Rito y Geografia del cante". "J'étais à l'école, je devais avoir 10/11 ans et on est venu me chercher à la sortie de l'école et on m'a emmené dans une casa de vecinos de la calle Cantareria. Il y avait beaucoup de monde et on m'a mis là au milieu et on m'a demandé de chanter" raconte Antonio Malena pour qui ce souvenir de cante por siguiriya partagé avec Moraito est à jamais gravé dans sa mémoire. Ce moment m'avait tellement émue à Paris que je n'avais même pas pensé à le photographier, les yeux rivés sur des images que j'avais pourtant vues des dizaines de fois, mais qui dans le contexte actuel, sur grand écran, avec Antonio Malena devant et les pensées vers Moraito, prenaient un tout autre sens. L'émotion fut encore plus grande lorsqu'à la suite de ces images, d'autres de la même série, montrèrent la Macanita enfant chanter et danser por buleria. Ces images là aussi, on les avait déjà tous vues bien sûr. Et la Macanita remplaça Santiago Moreno sur la chaise qu'il occupait à Paris, face à Antonio Malena, pour interpréter avec lui des siguiriyas et bulerias a palo seco, accompagnés depuis le ciel par la guitare muette de Moraito, dont l'image trônait au dessus d'eux.
Le rideau se baisse, et c'est déjà l'heure de la troisième surprise, l'apparition de Juan Lara qui offre l'un des plus beaux moments de la soirée en interprétant des saetas depuis l'un des balcons du Teatro Villamarta alors que Maria del Mar Moreno recouverte d'une mantille, le regarde d'en bas depuis l'avant-scène d'un air à la fois implorant et empreint de dévotion. Car Jerez c'est aussi cela, la Semaine Sainte, et il n'est pas rare de croiser des entraînements de pasos dans les rues de la ville durant le festival.
Antonio Malena poursuit por tonas, et puis vient le moment que tout le monde attend, le baile por siguiriya de Maria del Mar Moreno, ce cante si symbolique aussi de Jerez, pour lequel elle est prête à se damner et donne tout avec la complicité d'Antonio Malena avec qui elle forme une paire artistique inséparable. Le cantaor, véritable pilier du spectacle, est ensuite rejoint par Enrique El Zambo et Mateo Solea qui entament, debout autour d'un tonneau, des bulerias al golpe interprétées por derecho.
Mais il y a encore une suprise, l'intervention de la maestra Angelita Gomez, la première maestra de Maria del Mar Moreno, et notre maestra à toutes et tous, qui se lance dans des marquages de solea por buleria avec l'élégance et la délicatesse qui la caractérisent, portée par le cante protecteur d'Antonio Malena. Angelita est longuement ovationnée par le public, avant de laisser place à une fin de fiesta géante avec tous les protagonistes de la soirée, et un tonnerre d'applaudissements au rythme de buleria pour Maria del Mar Moreno - très émue -, et ses compadres.
Jerez Puro Esencia est le dernier spectacle que j'ai pu voir au Festival de Jerez cette année - grippe oblige - , et il m'a laissée, comme à l'IMA, une excellente impression, transcendée par le fait qu'il se déroulait à Jerez dans un théâtre qui est l'épicentre du festival et qui malgré les difficultés rencontrées ces derniers mois, a su offrir aux aficionados un très grand festival pour ses vingt ans. Muchas gracias Jerez, y hasta el año que viene.