Un año mas, comme disent les aficionados que l'on croise d'une année sur l'autre au festival. Mais non, ce n'est pas simplement une année de plus, car cette année, ce sont les vingt ans du festival de Jerez, et cet anniversaire se déroule dans un contexte économique plutôt compliqué. Pourtant le Festival a voulu marquer le coup ce week-end en proposant un programme surprise inédit avec des spectacles orchestrés par de grands artistes, valorisant le patrimoine matériel de la ville : Alcazar, bodegas, couvent, musée... durant trois jours, 20 spectacles pour célébrer les vingt ans du festival. Et à ces vingt bougies sur le gâteau d'anniversaire est venue s'ajouter une belle cerise, le nouveau spectacle "Reversible" de Manuel Liñan.
Le bailaor de Grenade Manuel Liñan est un habitué du Festival de Jerez. Il y donne chaque année un stage depuis une dizaine d'années et y a présenté la plupart de ses créations. C'est même lui qui était représenté sur l'affiche du Festival de Jerez l'an dernier, en manton et bata de cola, une tenue qui est devenue sa marque de fabrique.
Ce n'est donc pas une surprise de retrouver Manuel au milieu des artistes en manton et bata de cola noire dans la premier tableau, dans des bulerias de Lebrija endiablées qui donnent d'emblée le ton de la soirée. Manuel y exprime sa part féminine de façon majestueuse, jouant sur l'ambiguité et faisant fi des préjugés, certaines de ses poses faisant référence aux estampes d'un temps révolu.
Le fond de scène dévoile un impressionnant dressing qui occupe toute la largeur de l'espace scénique. Manuel s'est entouré d'une équipe de choix. Lucia la Piñona et José Maldonado viennent illustrer la transition por romance en distribuant des roses rouges sur toute la largeur de la scène, et José Maldonado entame un solo qui met notamment en valeur son impeccable placement dans une série de tours réglés au millimètre, ainsi que la tenue de scène qu'il a lui-même créée. Le spectacle est très rythmé, Manuel vient déjà rejoindre José pour un folklore en duo, cadencé par les panderetas des cantaores. Jeux de cordes, jeux de mains, jeux de miroirs, refrains... le spectateur visualise l'univers enfantin de Manuel à travers des duos au rythme effréné qui témoignent d'un travail chorégraphique colossal.
La guitare et le cante ne sont pas en reste. Manuel met à contribution le tremolo de la guitare de Pino Losada, et amène les cantaores vers des tientos peu conventionnels, leur imposant un rythme soutenu puis les interprétant à palo seco, à grand renfort de marquages et de pitos. Miguel Ortega est toujours aussi formidable dans son accompagnement du baile. Manuel s'amuse dans les tangos, comme un petit garçon, libre dans son baile tout en en conservant les codes : recoges, épaulés et frappes de pieds infaillibles. Le manton autour de sa taille fait office de tablier lors de la conclusion. Manuel devait sans doute aimer se déguiser lorsqu'il était enfant. Sa créativité est sans limites, et il réutilise les cordes tendues entre des penderies mobiles pour matérialiser un ring de boxe dont les protagonistes sont le couple formé par Manuel et Lucia, et l'arbitre Torombo. On l'espérait sans trop y croire, mais oui, Torombo se met à danser au milieu du ring, le temps pour Manuel et Lucia d'échanger leurs costumes, Manuel de nouveau en bata et Lucia arborant le gilet que portait Manuel. Un tour de passe passe très réussi.
Un nouveau romance pour la transition qui met en valeur la puissance du cante de Miguel Ortega, et puis la guajira de Lucia et José, peu traditionnelle, avant la solea finale que Manuel interprète de nouveau en manton et bata. Manuel ou Manuela, comme dit la letra de David Carpio, on ne sait plus très bien, et c'est finalement de dos, une rose dans les mains, que le danseur dit au revoir au public du théâtre Villamarta, comme sur l'affiche du spectacle, avant de se retourner dans un ultime clin d'oeil.
Le public était logiquement debout pour ovationner les artistes de ce spectacle très convaincant en ce "Dia de Andalucia" célébré dans toute la région.