Durant trois journées consécutives, du 22 au 24 février, la Cité de la Musique de Paris a vibré au rythme du flamenco gitan.
Cette "Andalousie gitane" aurait tout aussi bien pu s'appeler "Les rois du flamenco gitan". En effet, trois figures gitanes considérées comme maîtres incontestés de leur art occupaient le devant de la scène : Manuela Carrasco, la reine du baile gitan, Diego Carrasco, le roi du compas, et Manuel Agujetas, le roi du cante gitan. On ne pouvait évidemment pas faire l'impasse sur une telle affiche, mais au vu de l'indécision du service de presse de l'établissement, et pour profiter pleinement des festivités, le 'choix' a été fait d'y assister non en tant que média, mais en tant qu'aficionado.
Les aficionados parisiens et d'ailleurs sont venus en nombre assister à ce grand week-end de flamenco. Le 22 février à 20h, Manuela Carrasco, remarquablement accompagnée à la guitare et au cante/palmas, notamment par ses complices habituels Enrique el Extremeño et Joaquin Amador - mari de la bailaora -, et le cantaor Manuel Tañe, a démontré qu'elle est toujours la plus grande. La bailaora a une telle présence que la voir danser est toujours une expérience extraordinaire. On retiendra en particulier son baile por solea, d'une grande intensité. Rafael de Carmen et Oscar de los Reyes occupèrent agréablement les moments où Manuela n'était pas présente sur scène.
Le samedi 23 février à 17h30, José Valencia a confirmé son statut de "Pavarotti du flamenco" en faisant trembler l'amphithéâtre de sa voix puissante après la conférence de Corinne Savy, et la table-ronde où intervenaient Jacques Maigne, Corinne Savy, Daniela Lazary et Frédéric Deval. Le cantaor de Lebrija, après avoir dédicacé plusieurs dizaines d'exemplaires de son album "Solo flamenco" à un public essentiellement féminin, a renouvelé son implication dans le cante un peu plus tard dans la "Fiesta de la buleria", référence à l'événement mythique qui a lieu tous les ans à Jerez en septembre, mais qui a perdu beaucoup de son aura ces dernières années, depuis que l'apport des glacières y est interdit. Jesus Mendez a été comme toujours très efficace dans sa solea apola, et Concha Vargas, après avoir fait rêver les petits en matinée, a réalisé de formidables patas por buleria avec ce style si naturel qui la caractérise. Diego Carrasco, égal à lui-même, a régalé le public de son fameux "Alfileres de colores". La Macanita a surpris en chantant por malagueña, mais elle a poursuivi par sa solea de toujours, accompagnée par la guitare de Manuel Parrilla. Diego del Morao a distillé des falsetas de oro, et un soniquete hérité de son regretté paternel, maître de la buleria. Le roi de la buleria était là lui aussi, suivant de là-haut avec sa bienveillance légendaire une fiesta qui s'avéra magique.
L'après-midi de clôture du festival le dimanche 24 février avait comme protagonistes La Susi et Manuel Agujetas. Susana Amador Santiago "La Susi", qui chantait "a una hora un poco temprana" - un peu trop de bonne heure - a débuté par des cantes de sa région natale - levantica et taranta - difficiles à exécuter pour une voix non chauffée, et a poursuivi avec une malagueña et des cantes abandolaos. La suite du récital fut composée de cantes de facture plutôt moderne au cours desquels la cantaora semblait peu à l'aise avec le toque de Paco Iglesias, notamment sur les tangos, son guitariste habituel Manuel de la Luz n'ayant pu l'accompagner ce jour là. La cantaora qui est liée à la famille Amador par son père - elle est la soeur de Joaquin Amador - a un timbre de voix très flamenco que l'on aimerait entendre plus souvent. La Susi - qui est de Séville et non de Jerez comme mentionné sur le programme qui comporte d'autres perles - était accompagnée sur scène de Mercedes et Carmen Amador aux choeurs et palmas.
Il n'y eut pas d'entracte, et, enfin, celui que nous attendions tous, le grand Manuel Agujetas, fit son entrée sur scène. Quelle présence, et quelle personnalité ! Beaucoup d'humour aussi chez cette légende du cante qui dès son arrivée sur scène annonce, comme pour contrebalancer le concert précédent, qu'il va chanter du "cante viejo", et s'amuse avec la serviette éponge un peu trop grande qui jouxte sa chaise en la mettant sur la tête. Mais il rentre vite dans le vif du sujet...et comme toujours débute son récital par une solea. Des letras courtes, il en fera juste assez, trois quarts d'heure de récital au cours desquels il chantera por solea, siguiriya, martinete, fandango, et solea por buleria sur la très courte intervention au baile de son épouse Kanako, beaucoup plus brève qu'à Villejuif. Le guitariste de Malaga Antonio Soto, son accompagnateur habituel, fut un interlocuteur suffisamment solide pour répondre au cante de Manuel Agujetas et accompagner ce concert particulièrement réussi, qui se déroula dans un silence religieux. Si le cante flamenco avait un pape, ce serait sans doute Manuel Agujetas.
Afin de prolonger la magie du récital, il y avait le concert que le cantaor donna trois jours plus tard à Rota dans le cadre d'un hommage rendu par sa ville natale. A suivre...
A noter : L'acoustique de la Cité de la Musique, du moins depuis l'orchestre, a permis à la musique d'être diffusée dans des conditions optimales. Un bon lieu pour écouter du flamenco.