Pendant que Sébastien Carniaux, le contrebassiste, répète ses morceaux avant l'entrée en scène, nous nous entretenons avec le guitariste Stéphane Péron, le chef de file du très cosmopolite projet Noche Blanca, et son acolyte jerezano, José Galvez.
Flamenco Culture : Peux-tu nous présenter la formation de Noche Blanca ?
Stéphane Péron : Nous sommes 9 dans le projet : Rocio Fernandez Parilla au chant, Carlos Ortega au cajon, José Galvez, au chant et à la guitare, Mercedes Pantoja à la danse, Yvan Tamayo (alias Don Tamayo) aux congas, Julien Lebon au violon, Cristian Zarate à la flûte, Sébastien Carniaux à la contrebasse, et moi-même à la guitare.
F. C. : Quand a été initié ce projet?S. P. : Le projet a été monté une première fois en 2005 ici à Rennes pour un festival qui s'appelait la Feria du Flamenco. A l'époque, la partie espagnole était un peu différente, avec Ismaël Heredia à la guitare, Sandra Rincon et Jaime Villar « Candié »au chant et Saray Garcia au baile. C'était les 4 espagnols, tous de Jerez, qui étaient là pour la Feria (NDLR : Carlos Ortega était déjà de la partie). On était 12 sur scène ! Il y avait aussi une batterie, des cuivres, une basse électrique. J'ai voulu le remonter avec une saveur plus cubaine que ce que c'était à l'époque.
F. C. : C'est à dire qu'il n'y avait pas encore cette couleur cubaine ?S. P. : Les morceaux avaient quelques inspirations cubaines mais les arrangements étaient clairement rock. Il y avait 6 cuivres derrière, avec un côté fanfare qui s'intégrait bien à l'ensemble, et les morceaux les plus doux, les rumbas les plus douces étaient joués avec un bansouri, une flûte indienne en bambou. Ca allait plus vers une orientation indienne et rock. Cette année, nous serons plus dans le flamenco et avec des morceaux à tendance plus cubaine. C'est une saveur que je voulais donner.
F. C. : Comment est né ce projet ?S. P. : Quand j'ai commencé à écouter du flamenco, il y a une dizaine d'années environ, ce qui m'a attiré au départ, c'est la guitare bien sûr, puis j'ai découvert le chant, que j'ai trouvé très très fort et que j'ai rapproché du rock. Je ne sais pas pourquoi, je voyais quelque chose de très rock dans le flamenco, et j'ai tout de suite voulu faire fusionner tout cela, même si le mot n'est pas très beau en français, rapprocher en tout cas, et conserver vraiment l'esprit du flamenco dans ses silences, comme dans les siguiryas, et juxtaposer cela dans un groupe de 9 et que cela soit justifié par une mise en scène.
F. C. : Et comment c'est passée l'incorporation des musiciens rennais avec les jerezanos ? On sait que les flamencos peuvent s'adapter assez facilement à n'importe quel style de musique mais par contre comment ça s'est passé pour les musiciens français ?S. P. : Je ne peux pas mentir : à chaque fois ça a été tout un travail de leur expliquer comment on fonctionne dans le flamenco, leur expliquer ce qu'est une buleria, une alegria, une solea, pourquoi il y a ce qu'on appelle les caidas, pourquoi les accords changent, car c'est surtout une histoire de changements d'accords. Pour quelqu'un qui ne connait pas le flamenco, ça lui fait vraiment bizarre au départ. Je leur ai expliqué, tout simplement ! Je leur ai montré les patterns des palmas, je leur ai fait écouter des chants basiques, de Jerez, et ensuite on a repiqué des mélodies qui nous plaisaient et on a incorporé cela comme ça. Pour les palmas, puisqu'on n'a pas de palmeros en Bretagne, nous les avons remplacé très naturellement par les congas ou une batterie. Lorsque je suis revenu d'Espagne (NDLR : Stéphane a vécu quelques années à Jerez de la Frontera pour parfaire son apprentissage de la guitare flamenca), j'avais envie de continuer à jouer du flamenco mais personne ne pouvait suivre ici. Donc, le travail, c'est de s'arrêter, leur expliquer les palos, les cantes, comment ça fonctionne. Le travail dépend vraiment de l'instrument avec lequel tu bosses. Par exemple, le travail avec un contrebassiste, eh bien : tu t'arrêtes et tu écris des grilles d'accord. Avec un flûtiste ou un violoniste, tu vas vraiment regarder les mélodies, pourquoi telle partie peut devenir plus longue ou plus courte. C'était assez étrange pour eux au début.
F.C. : Et pour toi José, comment s'est passée ton intégration au sein de Noche blanca ?José Galvez : Je crois que ça dépend surtout de la qualité des musiciens. Par exemple, si ce sont des musiciens qui commencent l'apprentissage d'un instrument, tout est assez complexe. Mais lorsque quelqu'un a déjà une base et une expérience de la musique, je crois qu'il peut facilement se mélanger avec le flamenco car comme tu le disais, le flamenco peut s'incorporer dans n'importe quelle musique et les musiciens d'autres horizons, bien qu'au début ils peinent avec le rythme, car le compas et le rythme flamenco sont assez déroutants pour eux, c'est un peu normal que ça leur coute au début. A moi aussi, ça me serait difficile de comptabiliser un compas arabe, qui n'a rien à voir avec un rythme flamenco, bien qu'il soit à la racine et parce qu'il est d'une autre structure différente. Mais au final, ce que je veux dire, c'est que lorsqu'on est bon musicien, capable d'improviser, quelques répétitions suffisent pour capter rapidement l'idée et se mettre en route, comme cela a pu se passer avec les musiciens de Noche Blanca. Nous jouons rarement ensemble, du moins en ce qui me concerne !!! Mais regarde comme cela sonne bien avec tous ces bons musiciens qu'il y a dans le groupe !
F. C. : Pour ce qui est de la musique, ce sont vos compositions ?S. P. : Dans la formule actuelle, ce sont surtout mes compositions : la majeure partie du répertoire, soit 7 au total. La deuxième partie du répertoire provient du flamenco traditionnel, tel qu'on peut l'entendre en tablao et la dernière partie, c'est la nouvelle collaboration avec José Galvez, avec deux de ses thèmes. Il compose et arrange aussi, mais de toutes les façons, nous arrangeons tous les 9 au cours de mini résidences organisées à Rennes. Globalement, les arrangements se font lorsque nous sommes tous ensemble.
F. C. : Quelles sont tes influences musicales ?S. P. : La guitare pure : Vicente Amigo, son son, son groove, Tomatito, et j'ai une affection toute particulière pour la guitare de Jerez : Jero, tous les guitaristes de Jerez. Le toque de Lebrija m'intrigue particulièrement, avec Perdo Bacan, qui, j'ai l'impression, improvisait beaucoup. C'est vraiment un flamenco qui m'intrigue. Ensuite, mes influences vont de Mozart à Sepultura ! En passant par beaucoup de styles très éclectiques, je suis très rockero ! Et le funk, je viens du funk, clairement ! Et le jazz : j'aime beaucoup l'improvisation dans le jazz : Miles Davis, Coltrane, Thelonious Monk, j'adore ! En guitare : Django, Wes Montgomerry...
F. C. : Justement, en écoutant la démo du projet, il y a quand même une forte consonance jazz...S. P. : Il a une couleur jazz, justement puisque je travaille avec des musiciens de jazz. Pour travailler une musique comme le flamenco, il faut avoir une base assez solide. Dans le jazz, ils savent improviser, trouver les accords. C'est très pratique de travailler avec des musiciens de jazz, et en plus j'adore vraiment cette musique.
F. C. : Et toi José, parles-nous des tes compositions pour Noche Blanca...José Galvez : Il y a deux thèmes. Il y en a un que j'ai enregistré en 2006 si je me souviens bien, dans le disque « Jovenes por buleria ». Celui de La Buleria de los colores. On l'a choisi quand on a commencé à faire le projet, parce que premièrement, c'était un thème que les gens connaissaient dans le monde du flamenco, et pas seulement en Espagne, mais aussi ici en France, en Italie et dans le monde entier, comme un thème quasi universel. Donc on a pris celui-ci parce que c'était un mode, un signe d'identité de ce que je fais, qui m'identifie beaucoup dans ma carrière, et nous avons pensé qu'il devait être là. Et une autre buleria qui possède l'aire et le son typique de Jerez, pur et dur, et même si c'est une chanson mais très flamenca. Nous l'avons choisie et ça nous a paru une bonne idée. Après, l'autre thème que nous faisons, c'est une sorte de valse, jouée très lentement, quasi en imitant le rythme du fandango de Huelva, à la cadence d'une sévillane lente, le compas au final est celui d'une valse, pareil à la buleria ou la buleria por solea : ce sont des rythmes qui proviennent de la valse. Ce thème nous a plu pour son harmonie et pour la lettra qui parle de la guitare. On dirait que ça parle d'une histoire d'amour et ça parle de guitare. La lettra, si tu écoutes ça fait : « Eres tu que me conoces, eres tu que me escuchas, si no estabas cerca de mi, yo te llamaria a voces, eres tu que me consuelas, que me alegra mi alma, la que no me reprocha si llego pronto o tarde, si yo te llamo o no llamo », ces choses de femmes, tu sais ! (rires) (C'est toi qui me connais, c'est toi qui m'écoutes, c'est toi qui remplit me remplit de joie. Si tu n'étais pas près de moi, je t'apellerais à grands cris, toi qui me consoles, qui ne me reproches jamais si je rentre tôt ou tard, si je t'appelle ou je ne t'appelles pas)
F. C. : Tu es en train de nous dire qu'il vaut mieux épouser une guitare qu'une femme !!!???J. G. : Plus ou moins ! (rires) C'est comme une histoire d'amour avec la guitare. À la fin ça dit : « Cuerdas de mi guitarra, a quien acaricio cuando llega el alba, la que no me reprocha si yo llego tarde etc... » (Cordes de ma guitare, que je caresse lorsqu'e l'aube arrive...). C'est très beau, et ça nous a plu parce que la lettra et la musique sont mystérieuses.
S. P. : Le thème est tout à fait en accord avec Noche blanca : la nuit, la guitare...
J. G. : Oui, ça venait en accord avec le thème !
J. G. : Non, non ! Ça fait des années que je fais beaucoup de fusion. J'ai enregistré des disques dans le monde entier en collaboration avec d'autres musiciens venant du jazz, du rock, du tango argentin, de la musique arabe, juive. J'ai monté un big band de jazz japonais très bon avec des musiciens japonais, avec qui j'ai fait quelques collaborations, et avec beaucoup d'autres artistes. J'ai donc cette expérience de fusion bien que je fasse également du traditionnel et du flamenco puro. Mon travail, c'est de faire des chansons de flamenco que je fusionne avec tous ces rythmes et ces différentes cultures, comme la pop, le rock, le jazz, le blues. Depuis que j'ai commencé la musique à l'âge de 11 ans, j'avais déjà ces préoccupations de fusion, je fusionnais déjà, j'avais mon groupe, je jouais de la guitare éléctrique, un peu de piano, de la basse, des percussions.
F. C. : Tu fais partie de cette génération de musiciens flamencos qui connaissent bien le traditionnel mais qui s'aventurent à explorer d'autres musiques...J. G. : Oui, je connais bien le traditionnel et je continue à en faire encore aujourd'hui, mais j'ai toujours été très aventurier, je compose mes propres chansons - letras et musique - donc je ne pouvais pas rester seulement avec le flamenco traditionnel car j'ai grandi avec des groupes comme Triana, Alameda, Medina de Zahara, Smash, qui furent les premiers groupes de flamenco-fusion puis il y eu Pata Negra, Ketama, et des artistes comme Parrita, Manzanita, que sais-je ! Il y en avait beaucoup ! Toute cette génération qui est sortie en même temps que Camaron à partir de la fin des années 60, début 70, où il y eut beaucoup de fusion avec le flamenco. Les premiers furent Smash de Séville, le premier groupe créé par Manuel Molina, l'ex-mari de Lole Montoya du duo Lole y Manuel. Il créa ce groupe avec d'autres et il inventa le rock andalou. Enfin il ne s'inventa pas ! Il naquit naturellement du flamenco et du rock. Ensuite, il y a eu Ray Heredia, qui fonda Ketama à Madrid, mais il est mort trop jeune. Il eut le temps de faire seulement un enregistrement. Ketama se forma comme un groupe après sa mort, avec Soto Sorderita, qui est de Jerez. Puis celui-ci fit carrière en solo et il resta les Habichuelas. Ils ont laissé le pois chiche de côté, et il resta les haricots ! Et Ketama a continué à faire sa musique avec sa personnalité. En ces temps là, il y avait aussi Pata Negra, et les débuts de Kiko Veneno, la Barberia del Sur...Donc, je suis de cette génération de 67 et de fait, je suis influencé par d'autres musiques. Diego Carrasco, que j'avais oublié, pardon ! Et qui est très important pour nous. Je parle de fusion bien faite ! Aujourd'hui, on fait un autre genre de fusion. Cette bonne fusion, de qualité, s'est faite avec des musiciens qui connaissaient très bien le flamenco. Aujourd'hui, on fait du flamenco fusion, mais sans rien savoir du flamenco. Le son, le métissage n'est donc pas le même. Il y a beaucoup d'artistes, de chanteuses, de chanteurs, de solistes, de groupes, mais pas avec cette essence, et avec ce son si flamenco et si moderne en même temps...Moi, je suis resté avec cette époque des années 60 à 80. A partir des années 90, l'histoire a commencé changé...
F. C. : Comment faites vous pour produire un tel projet de Rennes à Jerez ?S. P. : Ah les finances ! Ici même, avec le centre culturel de la Ferme de la Harpe à Rennes qui organise le festival de « La Harpe en jazz », et d'autre part, « Guitare Flamenco », une association culturelle flamenca dans laquelle ma soeur Céline Péron est administratrice et dont les deux guitaristes phares sont Yves Ricou et moi -même. Ce sont les deux associations qui ont porté le projet jusqu'à aujourd'hui. J'ai aussi investi mes propres finances pour la première démo.
F. C. : Vous avez un projet de disque ?S. P. : Je touche du bois ! Ca m'enchanterait ! Nous travaillons à cela.
J. G. : Il nous faudrait un Ry Cooder pour Noche Blanca, celui qui organisa Buena Vista Social Club : producteur, manager, directeur artistique, un peu de tout !
S. P. : Nous cherchons une production car nous sommes nombreux ! Je passerais toute mes journées à jouer de la musique mais je dois aussi m'occuper de chercher des appuis car c'est tout un travail de faire bouger 9 personnes et c'est pour cela qu'on va enregistrer ce soir, pour avoir de jolies choses sur notre démo ! Nous la diffuserons pour nous faire connaître et nous verrons si cela plait !
J. G. : Il faudrait un producteur qui nous traite avec amour et qui aime ce genre d'histoire ! Le sentiment pour la musique ethnique et de la rue nécessite des gens plus sensibles. Il y a des producteurs qui font du « baccalau avec de la tomate » et d'autres qui veulent du pachangeo car c'est comme cela qu'ils gagnent de l'argent (rires). Noche Blanca s'adresse à des gens sensibles, qui aiment la musique en général. Cela n'a pas de définition concrète, c'est un sentiment universel. Ce type de projet nécessite des gens sensibles, qui savent l'entendre.
S. P. : Avant tout, je dois rendre hommage à Cécile Apsara, une bailaora qui est arrivée ici il y a plus 10 ans, et qui a vécu longtemps à Séville. C'est la première a avoir monté une association culturelle en lien avec le flamenco. Elle travaille beaucoup et organise de nombreux stages et ateliers.
F. C. : Donc, il y a du répondant ? Les gens s'intéressent au flamenco ?S. P. : Oui, il y a beaucoup de gens qui s'intéressent au flamenco. Il y a aussi notre association « Flamenco Guitare » avec laquelle nous tentons de développer la culture flamenca et plus spécifiquement la guitare.
F. C. : C'est étrange non ? Ici, il y a une autre culture musicale forte. Comment ça se fait d'après toi ? Dans le Sud de la France, cela paraît normal d'apprécier le flamenco mais ici dans le pays de la cornemuse et de la musique celtique ?S. P. : Selon mon point de vue, pour peu qu'une personne soit sensible, elle ne peut être que touchée par l'âme flamenca : un martinete bien chanté, un fandango : on ne peut résister à cela ! Je ne sais pas si les gens d'ici ont plus de sensibilité qu'ailleurs, mais ça leur plait beaucoup ! Le cante plait. Au début, cela leur paraît étrange mais ils aiment vraiment. Le baile aussi plaît beaucoup. On a en a un peu marre des cornemuses ici ! On a envie d'autres choses !
Liens : http://www.myspace.com/nbmusica, en attendant le site internet prochainement en ligne
Discographie :
José Galvez – Jerez Joven por buleria, Musivoz-Mercurio, 1997
Bohemio de amor, Mercurio, 1997