La dernière soirée du XXème Festival Flamenco de Nîmes s'est achevée en la compagnie des femmes samedi 23 janvier 2010. Des femmes créatrices et espiègles, pleines de grâce, passionnées, dans des registres différents de l'arte flamenco. La danse a ouvert le pas avec la compagnie de Rocio Molina au Théâtre de Nîmes. De retour après « Almario » et « Mujeres » sur une scène qui lui a permis d'approcher le public français, la jeune chorégraphe malaguène a présenté « Oro viejo ».

Rocio Molina ne s'est pas seulement distinguée par de nombreux prix et un brillant parcours, elle a apporté à la danse flamenca un style très personnel et un talent indéniable. Elle dit que sa danse est très classique. Dans ses créations, elle pousse toujours les limites de sa discipline, en évoquant les questionnements sur l'être, toujours présents dans ses créations. Après Nietzsche (qui a beaucoup philosophé autour de la danse et inspiré les danseurs), elle se penche sur un autre grand de ce monde : le temps. Au travers d'une série de tableaux et images vivants (magnifiques !) qui oscillent entre la solitude profonde de l'être et une palette d'émotions multiples, la chorégraphe a distribué de la grâce avec une simplicité ahurissante.

« Oro Viejo » évoque deux états de la vie : la jeunesse et son énergie débordante, et la vieillesse, la maturité. Dans le flamenco, être vieux, c'est une très grande qualité, car il y a plus de savoir et de sagesse. Le passé est omniprésent dans le spectacle, sans fausse nostalgie, mais les gouttes d'or qui tombent dans les trois bols disposés au sol rapellent concrètement que le temps passe et que chaque seconde est précieuse et précise. Le titre du spectacle, les costumes, le choix des danses et de la bande son, la voix de Rosario la Tremendita - jeune cantaora originaire de Triana qui s'affirme par son goût pour les palos anciens et des capacités inédites - tout a une saveur à la fois fraîche et rétro. Rocio Molina possède un grand nombre de styles anciens avec un sens inné, tout en se les appropiant d'une manière très personnelle. Au-delà du thème du temps, l'être porte dans son corps les traces des choses passées par les anciens.

« Oro viejo » compte sur une distribution artistique de qualité avec David Coria et le duo Eduardo Guerrero et Adrian Santana en contrepoint à la danse et les guitaristes Paco Cruz et Rafael Rodriguez.

C'est sans doute le travail de mise en scène qui place Rocio Molina parmi les modernes du flamenco car il y a une construction esthétique recherchée, notament au moyen de la lumière et du son (remarquable ouverture). L'aspect visuel et le travail sonore sont des éléments qui jouent pour beaucoup dans la qualité de ses pièces, en plus du choix des interprètes qui l'accompagnent. Dommage que la video – miroir et projection de la vieillesse - soit exploitée chichement. Les mouvements des danseurs épousent la création sonore du percusionniste Sergio Martinez dans laquelle les tablas indiens donnent de la texture aux temps et aux silences, et permettent à Rocio Molina de déployer une gestuelle qui renvoie à la danse indienne. La scénographie de « Oro Viejo » est peut-être simple, mais elle est précise en s'appuyant essentiellement sur la danse et le mouvement. Subtilité, finesse, équilibre entre les tableaux, une certaine perfection qui pourrait agacer s'il n'y avait cet esprit comique et ingénueux. L'utilisation de la musique enregistrée aux côtés de la musique vivante est un sacré parti pris et peut déranger tant le flamenco est reconnu comme un art vivant de l'instant. C'est un choix assumé par Rocio Molina qui parlait d'un grand vide dans l'accompagnement de la danse dans un entretien avec Flamenco Magazine (juillet 2008, n°9).

À l'instar d'autres artistes invités du festival tels qu'Israel Galvan, Andrés Marin ou Diego Carrasco, Rocio Molina montre que le flamenco peut aller très loin dans ses expressions : la connaissance et la maîtrise du passé gardent intacte son essence flamenca. Le point commun de ces artistes est d'apprécier l'apport des anciens tout en étant très libre dans leurs langages respectifs. Être elle même est sans doute la plus grande qualité qu'offre cette artiste profonde, qui allie subtilement maturité et énergie bouillonnante de la jeunesse. Souvent comparée à Pablo Picasso, autre malagueño de génie, Rocio Molina crée de façon ludique et spirituelle tout en étant très sensuelle et physique. Une démarche artistique tournée vers toujours plus de liberté. Corps libre plein d'esprit, Rocio Molina est vitale à la danse, au-delà même du flamenco.

Nathalie Garcia Ramos