Il n'est pas gitan, ni andalou. Et pourtant Miguel Poveda a réussi à entrer dans le coeur des jerezanos. Bien sûr il existe toujours quelques aficionados dans les peñas de Jerez capables de tenir des propos comme "Ce Miguel, là, il n'est même pas andalou", mais globalement Poveda et Jerez c'est une grande histoire d'amitié, qui s'est forgée au fil des ans, en particulier entre Miguel Poveda et Luis El Zambo.

La notion de frontière est très ancrée en Andalousie. Certains noms de villages andalous sont complétés par le suffixe "De la frontera" : Castellar de la Frontera, Vejer de la Frontera, Arcos de La Frontera, Moron de la Frontera... et le plus connu chez les flamencos, Jerez de la Frontera. Il s'agirait en fait de la frontière historique entre les mondes chrétien et musulman, du temps d'Al-Andalus. Depuis, d'autres frontières se sont créées, souvent dans les esprits fermés. "Sin Frontera", littéralement "Sans frontière" est une création qui fait tomber les barrières, en réunissant des artistes d'origine différente autour d'un art libre et sans limites, le flamenco. On retrouve sur scène les catalans Miguel Poveda et Chicuelo, et les jerezanos Luis El Zambo, Moraito, Joaquin Grilo, Luis Cantarote et Carlos Grilo, qui ont sans doute offert au public nîmois la meilleure soirée de cette quinzaine flamenca.

Au début du concert, la scène est divisée en deux parties : Miguel Poveda et Chicuelo sont à gauche, et Luis El Zambo et les artistes de Jerez sont situés dans la partie droite de la scène, assis autour d'une table. Vu depuis la scène cependant, c'est l'inverse : Miguel et Chicuelo sont à droite et les artistes de Jerez à gauche. L'Est et l'Ouest s'affrontent d'ailleurs au niveau du cante : Miguel Poveda interprète des cantes de Levante (taranta, puis malagueñas de Chacon et cantes abandolaos) tandis que Luis El Zambo s'affirme dans les bulerias al golpe et les martinetes. Tout ce petit monde finira peu à peu par se réunir sur la buleria "Que borrachera", mêlant cante, guitare, palmas... effaçant ainsi la démarcation imaginaire de la scène. Les letras de tientos/tangos de Miguel Poveda sont des plus classiques, identiques à celles qu'il interprète habituellement (tientos del Mellizo, de Cadiz, tangos de Triana et del Titi), et c'est bien tout ce qu'on peut lui reprocher tant son cante est saisissant.

Le bailaor Joaquin Grilo très en forme ne peut s'empêcher de faire le clown, un peu trop sans doute, faisant parfois penser à une mauvaise caricature d'Israel Galvan. Même si l'atmosphère ambiante s'y prête on le préfère dans un registre moins léger. Deux cerises sur le délicieux gâteau d'anniversaire du Festival de Nîmes : José Valencia en invité surprise qui interprète dans un duo humoristique avec Miguel Poveda "Se nos rompio el amor", copla popularisée par Rocio Jurado, et bien sûr Diego Carrasco, l'artiste qui a surnommé tendrement la ville "Nîmes de la frontera" avec qui Miguel interprète la buleria qui est devenue le véritable hymne du Festival, "Alfileres de colores". Un instant magique qui suscite un enthousiasme mêlé d'émotion dans le public.

Miguel Poveda était déjà venu avec Sin Frontera à Nîmes il y a deux ans, mais sans Luis El Zambo ni Moraito. La version présentée mercredi soir est la même que celle de 2008 au Festival de Jerez, et elle combla les aficionados qui offrirent au groupe une standing ovation largement méritée. Pour conclure la fête, chacun des protagonistes se lança dans une pataita por buleria, avant que Luis El Zambo et Miguel Poveda n'interprètent un ultime duo. Un concert qui demeure l'une des images fortes de ce vingtième anniversaire. Mention spéciale pour le soniquete de la guitare de Moraito que nous aurons peut-être bientôt la chance de retrouver en concert en région parisienne, tout comme Miguel Poveda. A vos agendas !

Retrouvez l'intégralité du concert de Miguel Poveda sur Arte Live Web

Murielle Timsit