Le Festival de Jerez ne pouvait pas débuter sans rendre hommage à Fernando Terremoto. C'est pourquoi hier soir, avant que le spectacle commence, la voix d'Isamay Benavente, directrice du Festival de Jerez, annonçait que les premiers applaudissements seraient dédiés au chanteur récemment disparu, "Une perte irréparable pour le flamenco". Moment d'émotion intense lorsque la salle, d'une seule et même palma, se mit à applaudir à tout rompre dans le Théâtre Villamarta, de concert avec les membres du Ballet Flamenco de Andalucia alignés sur scène.

Le Ballet Flamenco de Andalucia a pour mission de véhiculer l'oeuvre de Federico Garcia Lorca à travers le monde. Après "El Romancero Gitano" Cristina Hoyos et sa compagnie ont créé "Poema del cante jondo en el Café de Chinitas". Présentée pour la première fois l'été dernier aux Jardines del Generalife à Grenade, la création a ouvert hier soir le XIV° Festival de Jerez.

Le poète grenadin a écrit "Poema del cante jondo" en 1921, en hommage au chant que l'on appelle "profond". Cristina Hoyos et José Carlos Plaza en ont extrait quatre groupes de poèmes : les poèmes de la siguiriya, de la solea, de la saeta et de la petenera. On remarque que tous ces styles sont féminins, et personnifiés par des femmes. En effet le contenu des poèmes évoque des personnages féminins, une caractéristique mise en relief par l'adaptation du Ballet Flamenco de Andalucia qui leur accorde une place importante. Il semble justement que l'affiche du Festival de Jerez cette année soit inspirée du "Paso de la siguiriya" dans lequel Lorca parle de papillons entourant une jeune femme brune. Cristina Hoyos et José Carlos Plaza, qui signe une fois encore la mise en scène ont choisi de créer pour le cante le plus orthodoxe un café cantante sur la scène, une scène dans la scène sous forme de tablao, le reste de l'espace scénique étant réservé aux chansons populaires issues du folklore andalou comme "Anda Jaleo", "zorongo", "El vito", "La Tarara" et "Los cuatro muleros", en référence au disque enregistré par Lorca et La Argentinita, "Canciones populares españolas". Visuellement, c'est un arc-en-ciel de couleurs, le fond de scène s'illuminant selon les tableaux de vert, orange, rouge, bleu...

Côté populaire, on retrouve les danseuses dans des batas de cola exagérément longues por cantiñas, qui donnent l'illusion qu'elle sont immergées dans les vagues, mais aussi des sévillanes du XVIII° siècle, et une buleria avec ambiance discothèque pour appuyer la différence avec le côté profond... mais la boule disco suspendue n'est pas du meilleur effet et laisse perplexe, d'autant que ce recours a déjà été utilisé dans d'autres créations récentes.

Côté jondo, la place de la siguiriya est prépondérante. Chant, danse, castagnettes, cabales, toutes les façons d'agrémenter la siguiriya sont mises en scène. La partie réservée à la solea est plus courte mais toute aussi intense. Et que dire de ce sublime passage por saeta (chant et danse) qui laisse le spectateur sans voix, tout comme la petenera ? Ces scènes montrent pourquoi le cante jondo a tant inspiré Lorca, et a donné lieu à sa fameuse conférence du 19 février 1922 dans laquelle il expliquait que ce chant purement andalou existait de manière embryonnaire avant l'arrivée des gitans sur le sol espagnol et fut ensuite développé et enrichi par eux.

Le niveau de la compagnie est très homogène. Dans le corps de ballet on retrouve Cristina Gallego, Rosa Belmonte, Maria del Mar Montero, Rocio Alcaide, Patricia Ibanez, Zaira Santos, Marta Arias, Jesus Luis Vidal, Jesus Ortega, Jacob Guerrero, Javier Crespo, Daniel Torres, Abel Harana, et Juan A. Jimenez, le mari de Cristina Hoyos. Au cante, il y a Fabiola Perez, Vicente Gelo et David Carpio. Les guitares d'Andrés Martinez et Ramon Amador qui interprétaient la musique composée par Pedro Sierra complétaient l'équipe. Chacun des artistes eut l'occasion de montrer son talent dans le spectacle, mais on retiendra peut-être en particulier la siguiriya silencieuse du premier danseur de la compagnie Mariano Bernal (El Silencio y El Grito), et le baile por solea de Patricia Ibañez. Cristina Hoyos qui a décidé d'être plus en retrait fera quant à elle fera une seule apparition por zorongo, allant jusqu'à danser sur une table.

Spectacle plutôt conventionnel pour cette première soirée qui s'est terminée à la Peña "La Buleria" avec le cante de David Carpio, déjà très applaudi par ses paisanos durant tout le spectacle au Théâtre Villamarta.

Murielle Timsit