L'interview de la semaine 

Sublime Sharon Sultan 

Il est environ 19h. SHARON SULTAN, qui vient de terminer sa répétition pour le spectacle de ce soir m'accueille chaleureusement dans sa loge de Planète Andalucia. Sarah Moha arrive, très souriante, puis s'éclipse après la première question pour réapparaître avec les musiciens au milieu de l'interview. J'assiste avec intérêt à la séance de maquillage de Sharon qui répond en même temps à mes questions, préparées depuis bien longtemps suite à cette soirée du mois d'avril où nous nous étions croisées au Grand Rex dans le cadre du IIIème Festival Flamenco de Paris.


Tu as commencé très tôt la danse, comment as-tu découvert le flamenco ?

J'ai commencé la danse classique à 6 ans, je suis rentrée au conservatoire à Tel Aviv, et à la fin du conservatoire, donc à l'âge de 17 ans, on avait des cours de danse de caractère, et un jour, il y avait du flamenco, et là je me suis dit "C'est ça que je veux faire !". J'ai quand même fini le conservatoire diplômée de classique et contemporain Marta Graham. Et après je me suis mise au flamenco à fond et j'ai arrêté la danse classique.

Penses-tu que tes origines séfarades y sont pour quelque chose ?

Oui bien sûr. Ce professeur qui venait nous donner des cours nous a traduit un poème de LORCA, c'était en Israël pour les 500 ans de l'Inquisition, donc tout a pris sens : la manière de chanter, les prières séfarades, ça ressemble beaucoup en fait...Mes parents sont nés au Maroc à Fez, qui est une ville andalouse, donc ça ne doit pas être anodin, mais ça m'a pris du temps pour faire cette rencontre.

Comment ta famille voit-elle ta vie d'artiste ?

Ils me soutiennent complètement. J'ai fait mon service militaire car en Israël c'est obligatoire. A l'époque je travaillais déjà dans une compagnie de flamenco, plutôt classique espagnol. J'ai fini mon service, et comme j'avais la nationalité française, mes parents m'ont dit " si vraiment c'est ce que tu veux faire, vois plutôt grand ", parce qu'Israël c'est quand même un tout petit pays. Je suis venue ici, pas pour rester, je suis venue pour apprendre le français et voilà, j'ai eu la chance de commencer à travailler, et je suis restée, ça fait dix ans.

Tu dis que SILVIA DURAN t'a tout appris : que t'as-t-elle apporté de spécial, le travail des mains ? (ndlr : Silvia Duran est surnommée "The lady of the hands")

Tout ce qui est bras, tout ce qui est le travail des bras, ça c'est évident. J'ai rarement vu une danseuse avec un travail de bras comme elle, vraiment. Même en Espagne, parce qu'elle a travaillé beaucoup avec CRISTINA HOYOS, ANTONIO GADES, elle est vraiment connue pour tout ce travail qu'elle passe des heures à nous enseigner, même plus que les pieds à la limite, elle est vraiment connue pour ça.

Tu dis que le flamenco t'a aidée à accepter ton corps...

Quand on fait du classique toute petite, et surtout pendant l'adolescence, qui est une période où on a du mal à s'accepter, tout d'un coup, voir le flamenco qui est un art où un peut avoir des formes, ça m'a mise beaucoup plus à l'aise par rapport au classique, parce que le classique c'est quand même très rigide comme discipline. Je suis amoureuse du classique aussi, mais je trouve que le flamenco correspond plus à mon caractère, ça c'est sûr.


"Les siguiriyas, les soleas...ça me parle" 


Sur scène tu as un style vestimentaire qui n'appartient qu'à toi : tu portes toujours des robes très élégantes qui semblent être faites sur mesure pour toi, est-ce le cas ? on ne te voit jamais avec des vêtements de flamenco traditionnel, pourquoi ?

Je fais beaucoup de boutiques... confie Sharon en riant
Il y a un côté chez moi qui est quand même très important : je ne suis pas espagnole. Donc j'aimerais garder cette identité, justement parce que je ne suis pas espagnole, de vraiment aller jusqu'au bout avec mon style. Il faut que je me sente à l'aise dans ce que je porte, je ne me vois pas avec des robes à volants, ça ne me parle pas, d'ailleurs je pense que je n'en ai pas. Certaines robes de créateurs toutes simples, même qui ne sont pas du tout faîtes pour la danse, c'est ça qui m'intéresse. Je trouve que ça donne un côté très sobre, il n'y pas cette carapace de manton, de peineta...il y a vraiment quelque chose de simple, c'est ça qui me parle.

On trouve beaucoup de vidéos de toi sur ton myspace, est-ce que, comme MARIA PAGES par exemple tu filmes tout ce que tu fais ?

Non, moi je ne me filme pas. C'est vrai que je reçois pas mal de petites vidéos et je finis par les mettre. Quand je fais un projet important pour moi, à ce moment là oui. Par exemple sur myspace j'ai choisi de mettre une vidéo qui n'est pas flamenca : c'est une pianiste classique avec une chanteuse d'opéra qui chante une berceuse juive séfarade, il n'y a pas de pieds ni rien, mais pour moi c'est tellement beau...nous sommes interrompus par Enrique Muriel "Kike" qui vient nous saluer

On te voit danser sur les styles plutôt tragiques du flamenco, as-tu un palo préféré ?

Le premier spectacle de flamenco que j'ai vu, c'était à Tel Aviv, ma mère m'a emmenée voir le Ballet National d'Espagne, et c'était MEDEA. Le côté tragique, c'est malheureux à à dire mais ça me...je ne danse jamais une alegria par exemple, j'adore en voir, prendre des cours, mais sur scène j'ai du mal à danser une alegria, je trouve que ça ne me correspond pas, par contre les siguiriyas, les soleas...ça me parle.

Quelle serait ta définition du flamenco ?

C'est d'abord (la danse) mon seul moyen d'expression, j'ai du mal avec la parole parce que ce n'est pas ma langue maternelle et donc ça me libère.

Le flamenco est universel, penses-tu qu'il puisse être un symbole de paix dans le monde ?

Oui. Quand je vois le nombre de stages qu'il y a en Israël avec des grands maîtres d'Espagne, ou au Japon, partout, en Hollande...oui. Je fais beaucoup le lien avec le jazz, j'adore le jazz. Le jazz est universel aussi, il y en a partout et c'est vraiment quelque chose qui vient de la souffrance d'un peuple, comme les gitans, donc oui, ça veut dire énormément de choses pour moi.

Tu enseignes aussi, peux-tu nous en dire plus sur les cours et stages que tu donnes ?

Je donne un stage tous les étés dans un festival de Jazz à Buis-les-Baronnies, que j'adore. Et là c'est très intense, on travaille la technique pendant beaucoup d'heures et on monte une chorégraphie. Mais je ne donne pas de cours réguliers à Paris, c'est sur demande.

Quels souvenirs gardes-tu de tes séjours en Andalousie ?

Génial, bien sûr. Il y a tellement à apprendre et tellement de bonnes danseuses là-bas. Il faut aller là-bas pour apprendre.

Tu travailles souvent avec les mêmes artistes comme JEAN-PHILIPPE BRUTTMANN, MENCHO, PIERRE BERTRAND...

Souvent on est amenés à travailler ensemble car déjà sur Paris nous ne sommes pas nombreux. Mais après c'est vrai que j'ai de la chance de travailler dans différents projets. Là on va faire Flamen'ka. Ca ça me tient vraiment à coeur. Après pour moi ce qui est important sur scène c'est que ça se passe bien humainement, c'est pour ça qu'avec Sarah on a choisi de faire ce spectacle ensemble. Ca c'est important. Faire un spectacle pour faire un spectacle ça n'a pas d'intérêt.


"J'adore le jazz" 


As-tu rencontré d'autres artistes israéliens qui s'intéressent au flamenco, comme par exemple les chanteuses de ladino YASMIN LEVY, MOR KARBASI, ou encore FRANCOISE ATLAN qui a les mêmes origines que toi ?

Oui, bien sûr, on est très nombreux. En fait Israël c'est comme la Bretagne, on est 6 millions, c'est seulement Paris. Il y a cinq grandes académies rien qu'à Tel Aviv, donc il y a une véritable identité séfarade. Moi je suis la première de ma génération à être née en Israël mais les autres viennent soit du Maroc, soit d'ailleurs. C'est très très proche. Souvent les gens me disent, "mais comment ça se fait qu'une israélienne fait du flamenco " alors je leur réponds " mais si vous réfléchissez deux secondes, c'est de là bas ". Les gens oublient ça et zappent cette partie de l'histoire.

YASMIN LEVY je l'ai rencontrée en France, elle est magnifique. Je connais bien son guitariste car on était amenés à se voir beaucoup en Israël. Je connais aussi un très bon pianiste qui a fait la même école que moi et qui commence à exploser ici, qui s'appelle YARON HERMAN, qui est dans le jazz...

Je pense qu'il y a quelque chose qui intrigue les gens quand on dit qu'on vient d'Israël, car la première image qu'on a c'est que c'est un pays en guerre.

Tu es ouverte sur d'autres musiques comme le jazz, les chants corses, aimerais-tu par exemple faire un spectacle avec du ladino ?

Avec quelqu'un comme Yasmin Levy, oui bien sûr !

Peux-tu nous raconter comment est né ce spectacle avec SARAH MOHA ?

En fait c'est d'abord une amitié. On a travaillé ensemble sur "Camino Del Sol ", et quand Sarah était enceinte l'année dernière je l'ai remplacée dans quatre spectacles et du coup une amitié s'est créée, et puis on a les mêmes origines, elle est séfarade ! raconte Sharon en souriant et regardant Sarah d'un air complice

Tu viens de fêter tes 32 ans, quels sont tes projets pour l'année 2008 ?

J'ai hâte de commencer Flamen'ka avec KAREN RUIMY qui a les mêmes origines que moi et avec qui j'ai un très bon contact. Ca mélange la danse contemporaine et le flamenco, donc c'est génial, et puis les musiciens sont très bons. Après, je monte mon projet avec PIERRE BERTRAND, qui est le directeur du Paris Jazz Big Band. Toute la musique est écrite mais on a encore à faire !

Remerciements à Sharon Sultan pour sa disponibilité, Sarah Moha et les autres artistes ainsi qu'à l'équipe de PLANETE ANDALUCIA pour son accueil. A noter que Sarah Moha présentera son nouveau spectacle "Visions d'Espagne" en 2008 et que nous réaliserons son interview à cette occasion.

Questions et réalisation : Murielle TIMSIT
Montage audio : Muriel MAIRET

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flamenco-culture.com - Murielle Timsit - Le 9/11/2007
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