L'interview de la semaine 

Mercedes Ruiz : l'Etoile de Jerez 

 

Voilà enfin un moment pour discuter avec Mercedes, car entre le spectacle "Viva Jerez" qui a fait l'ouverture du Festival 2008, ses deux cours quotidiens (martinete et guajira), son emploi du temps est très serré. Voici quinze minutes inoubliables qui nous permettent de découvrir un peu plus cette artiste radieuse et talentueuse à l'extrême.


De quelle ville es-tu ?

D'ici, de Jerez...

As-tu des origines gitanes ?

Non, je n'ai aucune origine gitane. Je suis d'une famille "paya" (non gitane). En fait, je suis entrée toute petite à l'âge de sept ans dans la Compagnie de Manuel MORAO y Los Gitanos de Jerez, ils étaient tous gitans. D'une manière comme d'une autre j'ai vécu plus que tout à travers eux. En plus de leurs traditions, leurs habitudes, c'est leur manière de sentir, de faire les choses. Ça je l'ai vécu auprès d'eux.

Quand as-tu commencé à danser et comment t'es venu ce désir ?

J'ai commencé à quatre ans, ma mère m'a emmenée dans une école de danse où l'on apprenait aussi les sévillanes, les rumbas. Réellement je danse depuis que j'ai l'âge de raison. Je dis toujours que c'est né avec çà. Comme l'art en général, cela pourrait s'appliquer à la peinture, à l'art de la tauromachie, c'est quelque chose qui est né en moi à ce moment là. Certains le découvrent avant parce que le flamenco est plus proche d'eux, ce n'était pas mon cas.

Quel est ton premier souvenir de danse ?

J'allais à l'école avec mes chaussures de danse...J'ai aussi des souvenirs de cette école de danse, de ce professeur, mais je ne me rappelle pas de mon premier cours. C'est quand j'ai eu l'âge de raison que je me souviens de monter sur scène, j'ai plus de souvenirs à cette époque.

Ta famille a-t-elle réagi à ta passion ?

Au début ils pensaient "On verra bien, petit à petit". Je devais d'abord étudier avant de danser. Quand j'ai eu dix-huit ans, je ne pouvais plus me partager entre les deux, je n'avais plus le temps. Alors ils m'ont dit "Tu choisis ta vie et fais ce que tu dois faire".

Quel regard porte-elle aujourd'hui sur ta carrière ?

En vérité ils ne comprennent pas bien le flamenco, ils ne savent rien de ce monde, ils ne sont pas impliqués. Ils le voient comme "Ma fille danse le flamenco". Ils n'ont pas les connaissances parce qu'ils ne le comprennent pas. Ce sont des gens de maison, des cuisiniers, des gens qui n'ont rien à voir avec le flamenco. Ils sont vraiment très contents parce qu'ils se rendent de suite au théâtre voir mon travail. Ils sont ravis mais ils ne mesurent pas le niveau que j'ai et que je porte sur scène, comme si cela ne se voyait toujours pas.

Tu as travaillé le baile aux côtés de Pilar et Ana Maria LOPEZ de la Peña de Los Cernicalos à Jerez, as-tu eu d'autres professeurs ?

Oui, j'ai étudié avec LA CHIQUI de Jerez, Charo CRUZ de Cadiz, pris des cours avec Javier LATORRE (directeur artistique sur le spectacle "Viva Jerez"); j'ai pris beaucoup de cours...Mais quand tu désires suivre ton chemin, tu dois t'enfermer seule dans un studio de danse pour partir à la recherche de toi-même.

As-tu des maestros de référence ?

Beaucoup de gens me plaisent, je prends ce qui me plaît le plus chez chacun d'eux. J'adore Carmen AMAYA, Antonio GADES. Suivant le palo que je désire danser, je vais regarder les choses chez l'un l'autre. J'ai beaucoup de références.

As-tu des palos préférés ?

Oui, j'adore danser la siguiriya, puis la solea et la buleria.

Quelle est la définition de ton baile et que recherches-tu sur scène ?

Je ne sais pas...J'ai moi-même du mal à me définir...Je crois que je suis très sincère. Quand je danse, je dois d'abord être heureuse avec moi-même pour pouvoir offrir aux spectateurs ce que je souhaite et le leur donner. Je suis aussi exigeante avec moi-même. Je crois que la sincérité de ma danse c'est ce que j'ai de mieux en moi.

"La sincérité de ma danse
C'est ce qu'il y a
de mieux en moi"
 

Es-tu perfectionniste ?

Très. La vie en générale doit être carrée.

comment définis-tu le duende ?

C'est compliqué...Je crois que le duende surgit sur scène quand il se passe quelque chose de magique. Un moment de danse où tu ne réfléchis pas, quelque chose fait que la danse sort toute seule simplement, sans en prendre conscience. C'est quelque chose de spécial.

Deux mots pour décrire ton tempérament :

La force, je pense être une personne avec un caractère fort et ce qui est coquet car j'aime la sensualité féminine.

Quelle part de doute existe en toi et comment se manifeste-t-il ?

Je doute toujours dans ma loge, mais quand je monte sur scène j'oublie tout. En loge je peux avoir peur, l'angoisse de monter sur scène, je deviens nerveuse, mais dès que je monte sur scène plus rien ne compte.

La vie d'artiste est liée à la solitude. Comment l'apprivoises-tu ?

En vérité j'essaye toujours de ne pas être seule. Il y a toujours ma nièce, quelqu'un proche de moi ou de mon fiancé. Je tache de ne jamais être seule parce que je n'aime pas cela. Je fais tout pour être avec quelqu'un.

A quoi ressemble un jour de repos sans baile ?

Je regarde la télévision et je vais au cinéma. J'adore les films...

Quand as-tu pris la décision de créer ta propre compagnie ?

Ce n'était pas vraiment réfléchi au départ. Ce fut peu de temps après avoir gagné le Concours de la Biennale de Séville 2002 (Primero Premio de los Jovenes Interpretes) que le Festival de Jerez m'a invité en 2003 à partager un jour la scène avec Rafaela CARRASCO. A partir de cette proposition, j'ai commencé à former ma compagnie, ce n'était pas réfléchi, cela s'est fait petit à petit, comme un puzzle, réunissant le baile, la musique...

Comment travailles-tu avec tes musiciens ?

C'est merveilleux parce que le guitariste se trouve être mon fiancé (Santiago LARA)...les chanteurs sont comme des membres de ma famille...C'est un peu compliqué car il y a beaucoup de confiance entre nous et c'est là que surgissent les problèmes dès lors que l'on parle de la famille. Mais le fruit de notre travail est là, cela nous fait vibrer et tout devient particulier sur scène...

Serais-tu tentée de travailler avec des artistes extérieurs au flamenco, ayant d'autres origines musicales par exemple ?

Je ne l'ai jamais fait, mais je ne renonce pas à cette idée. Je crois qu'il faut tenter chaque expérience. Si les choses sont faites sur des critères justes, des fondements et avec sincérité -comme je t'en parlais tout à l'heure-, je crois que le résultat est toujours à la hauteur. C'est valable aussi pour le travail bien fait.

"Je suis ma propre critique"
 

Le flamenco évolue avec le temps et les nouveaux artistes, comment le vois-tu dans dix ans ?

Je crois que la tradition ne se perdra jamais parce qu'il y a des gens qui luttent pour elle. Il y a des artistes qui luttent pour sortir une bata de cola, un éventail, un manton, la tradition est bien présente. C'est la fontaine où tout le monde se doit de boire, elle ne va pas disparaître. Ce qui se passe c'est que la personnalité de chacun est différente chaque jour, chaque année qui passe l'un se sent plus distinct de l'autre, ainsi la personnalité change. Mais je ne crois pas que la tradition fusionnera avec autre chose, elle restera toujours là.

Comment perçois-tu le monde de la critique ?

La critique affecte, qu'elle soit bonne ou mauvaise. En fait, j'essaye de ne pas la lire, la bonne comme la mauvaise, afin qu'elle ne me touche pas. Ça m'est égal si on parle en bien ou en mal, je ne veux pas la lire. Je sais moi-même quand je fais bien les choses ou pas du tout. Je suis tellement exigeante avec moi-même que je suis ma première critique.

Que représente la ville de Jerez pour toi et pour le flamenco ?

Pour moi c'est ma manière de danser. Jerez m'a donné mon style, tout. C'est comment je respire, comment je marque le baile...Jerez m'a beaucoup enseigné. C'est une ville très importante pour le flamenco, je crois qu'ici il y a un style spécial comme celui de danser la buleria. On y chante très bien depuis toujours, on y joue très bien de la guitare.

Tu transmets ton art du baile à ton école de danse de Jerez, ici aux stages du Festival, mais aussi à travers le monde. Les élèves viennent de tous les continents pour apprendre avec toi. Que t'apporte cette expérience ?

J'adore donner des cours parce que j'apprends beaucoup. J'apprends des gens, des élèves parce que chacun danse différemment, avec sa propre personnalité. J'essaye de donner le maximum de moi-même et de le communiquer à tout le monde.

As-tu des conseils pour eux ?

Qu'ils aiment le flamenco, qu'ils écoutent le chant car c'est très important pour danser le flamenco. Qu'ils intériorisent tout ce qui a été appris en cours, ils pourront ainsi l'exprimer. Tout peut s'apprendre même quand quelqu'un dit "Ouh c'est difficile! Çà je ne peux pas y arriver". On peut tout faire, tout est réalisable.

Quels sont tes projets ?

En ce momento je continue les représentations du spectacle JUNCA, nous allons en France, en Espagne. Nous sommes sur la tournée. Nous préparons aussi un nouveau spectacle pour l'année prochaine.

Les tournées représentent beaucoup de valises. Quels sont les objets qui ne te quittent pas ?

Le dentifrice et la brosse à dents! Toujours !
Dans tous mes sacs il y a la paire! Et une Vierge aussi…(elle rit)

Si tu devais réinventer l'histoire du flamenco comme un conte de fées, que raconterais-tu ?

Je ne sais pas...je raconterais mon histoire: "Il était une fois une petite fille qui ne venait pas d'une famille flamenca, ni gitane. Elle avait trois ans et désirait des chaussures de danse pour danser le flamenco. C'est venu tout seul et comment est-ce arrivé ? (elle me regarde interrogée par ce mystère heureux) D'où est venue l'inspiration à cette petite fille ?" Ça pourrait être une histoire comme çà...


Mon quart d'heure s'est enfui, je reste avec une vingtaine de questions réservées à une prochaine rencontre. Nous nous quittons chacune courant à ses autres rendez-vous. Je remercie Mercedes pour ce moment particulier qu'elle m'a accordé et tout l'amour qu'elle a transmis à ses élèves, l'attention qu'elle porte à chacun d' eux. Cette femme sensuelle est une perfectionniste du travail comme tous les grands artistes de ce monde, peintres, sculpteurs, musiciens, compositeurs. L'art est un amant très exigeant.

Questions, réalisation, traduction, montage : Muriel MAIRET

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flamenco-culture.com - Le 29/02/2008