L'interview de la semaine 

 Juan Polvillo, l'école de Séville 

 

JUAN POLVILLO, décontracté, nous accueille dans le salon de Planète Andalucia après son ultime spectacle. Très attentif à nos questions malgré la fatigue, il prend le temps nécessaire pour nous répondre alors que de nombreux fans et ses amis l'attendent pour le féliciter.


Juan, de quelle ville es-tu originaire ?

Je suis de Séville. Je vis dans le centre, dans le quartier de la Macarena.

Depuis combien de temps danses-tu et comment as-tu pris cette décision ?

J'ai toujours aimé le flamenco, depuis que je suis tout petit. J'ai commencé à danser à l'âge de neuf ans.

Quel est ton premier souvenir de cours ?

A la maison on a toujours écouté beaucoup de flamenco. C'est ma tante qui m'a mis au flamenco car j'écoutais et je chantais déjà. Elle m'a emmené à mon premier cours à l'âge de neuf ans chez un professeur de mon village, car je suis d'un petit village à côté de Séville. J'ai commencé à danser les sévillanes, ensuite on m'a emmené à Séville à l'Académie de MANOLO MARIN et à partir de là j'ai commencé à danser professionnellement et il est devenu mon professeur.

As-tu des frères et soeurs ?

Non, je suis fils unique.

As-tu de la famille dans le monde du flamenco, un oncle qui chante par exemple ?

Oui, des oncles à moi chantent et dansent.

Comment ta famille a-t-elle suivi les débuts de ta vie professionnelle ?

Ma famille m'a toujours beaucoup soutenu pour faire ce qui me plaisait, car j'allais à l'école et je dansais aussi. Puis j'ai quitté l'école. A dix ans, presque neuf je travaillais déjà dans un tablao. Aujourd'hui j'ai ma propre école, ma propre compagnie…


"Le flamenco c'est ma liberté" 



Penses-tu avoir grandi avec le flamenco ou que le flamenco t'a fait grandir ? Penses-tu avoir mûri plus rapidement que les autres enfants de ton âge?

En réalité, le flamenco a toujours fait partie de ma vie. Comme je dis toujours, le flamenco c'est ma liberté, c'est là que je peux m'exprimer, faire tout ce que je ressens, c'est dans le flamenco que je me reflète.

Le flamenco te fait mûrir car il peut aussi t'apporter beaucoup de joies et de déceptions. Par exemple, tu peux recevoir une bonne critique et une autre mauvaise qui va te miner. Le flamenco te fait mûrir, te fait beaucoup voyager. Etre seul, prendre conscience que ta famille te manque, ça te fait grandir plus qu'un enfant qui se consacre à ses études. Par exemple à l'âge de 17 ans je suis parti seul six mois au Japon avec une compagnie, pendant que les autres jeunes de mon âge étaient chez leurs parents. Ca m'a fait mûrir énormément.

Tu as étudié avec MATILDE CORAL, FARRUCO, as-tu eu d'autres maîtres ?

Le professeur qui m'a formé et le pilier de mon flamenco c'est MANOLO MARIN. Ensuite quand j'ai grandi, je suis allé me perfectionner avec MATILDE CORAL, FARRUCO, TONA... Puis je suis allé à Madrid où j'ai étudié avec MANOLETE, EL GUITO, EL CIRO, mais je dis toujours que ma manière de danser et d'enseigner vient de MANOLO MARIN.

T'ont-ils transmis quelquechose de personnel ? Une idée, une phrase, un conseil ou une règle à suivre ?

Pour moi, MANOLO MARIN est tout dans le flamenco. MATILDE CORAL m'a enseigné beaucoup au niveau du corps. FARRUCO m'a enseigné beaucoup de choses au niveau du tempérament, de la force. LA TONA m'a aussi beaucoup appris.

Les danseurs qui veulent devenir professionnels finissent souvent à Madrid pour suivre les maîtres et plus tard essayer les castings des compagnies. As-tu suivi ce chemin ?

Moi non, j'ai appris et je me suis formé à Séville, dans ma ville. A Madrid, il y a d'excellents professeurs, mais moi, je vis le flamenco d'Andalousie, la saveur vient de Séville. Ce que je fais est sévillan, je suis de l'école Sévillane. J'ai ma propre école où de grandes bailaoras enseignent, comme PILAR ORTEGA, MANUELA RIOS, LOLA JARAMILLO, PAKY DEL RIO, ce sont quatre danseuses très fortes. Toutes les danseuses de ma compagnie viennent de mon école à part LA NEGRA.

En 1995 tu tournes avec Carlos Saura le film "SEVILLANAS". Quels souvenirs gardes-tu de ces deux univers de création - Flamenco et Cinéma - et de leur rencontre ?

J'étais très jeune. Ce fut une très belle expérience, car j'étais avec les meilleurs : CAMARON DE LA ISLA, LOLA FLORES, MANUELA CARRASCO, ROCIO JURADO. Etre avec eux est une expérience inoubliable. Pour moi MANUELA CARRASCO était la meilleure, alors être à côté d'elle, de LOLA FLORES, ou de CAMARON…Ce sont des choses que l'on n'oublie jamais.

C'est différent de tourner dans un studio et de danser devant le public. Je trouve que tourner un film est plus froid que d'avoir un public devant soi.

Tas travaillé avec beaucoup de danseurs : MARIA PAGÉS dans "De la luna al viento", JAVIER LATORRE, BEATRIZ MARIN, MILAGROS MENJIBAR, ANTONIO CANALES, que t'ont apporté ces expériences ?

Ce furent de très bonnes expériences d'être dirigé par ANTONIO CANALES ou JAVIER LATORRE. Quant à MILAGROS MENJIBAR, pour moi c'est une personne qui détient une technique de bata de cola absolument parfaite, c'est une professionnelle. Elle a le style de l'école sévillane. Aujourd'hui peu de personnes dansent la bata comme elle.

J'étais plus jeune et eux étaient déjà des professionnels du flamenco. Etre à leurs côtés t'apporte beaucoup de choses. S'entraîner ensemble, quand ils te disent, "mets ton bras là" ou "mets-toi comme ça", te donne une grande satisfaction dont je les remercie beaucoup. C'est une chance d'être entouré de grands artistes comme eux.

Tu as participé aussi à des événements spéciaux comme "Azabache" sous la direction de MARIA PAGÉS pour "EXPO 92". Comment se prépare un événement de telle envergure ?

Presque un an de travail ! En s'entraînant huit heures par jour pour monter le spectacle.

Quel est le type de scène que tu préfères ? le tablao, le théâtre, le théâtre de plein air, la rue ?

Je préfère les endroits petits, afin que le public soit près de moi, pour lui transmettre plus, pour voir le visage des spectateurs et qu'ils me voient de près. Les grands théâtres me plaisent aussi, mais je me sens mieux dans les endroits petits, car je me sens plus en communion avec le public.

Le flamenco évolue avec le temps et la nouvelle génération d'artistes. Comment le vois-tu dans dix ans ?

Le flamenco est constamment en évolution et je respecte cette idée, mais je suis un puriste. Tout évolue : le cante, le toque, le baile, mais je reste traditionnel.

Que penses-tu qu'il manque au flamenco par dessus tout ?

Je pense que le flamenco est une chose mondiale, qui appartient au monde entier. Je le vois bien, je ne pense pas qu'il lui manque quelque chose. J'ai l'impression que le flamenco pur se perd un peu, mais c'est normal car la vie passe et le temps évolue. Le flamenco vit cette évolution constamment et je ne pense pas qu'il puisse redevenir ce qu'il était avant.

Pour certains, il existe une distinction entre "flamenco" y "flamenco puro", comment comprends-tu ce message ?

Le flamenco puro est une chose que l'on sent, on doit le porter en soi, vivre le flamenco et ce que l'on fait. Dans le flamenco d'aujourd'hui il y a beaucoup de technique et d'évolution, c'est pourquoi je le respecte, mais il ne me convient pas. Il y a des gens qui se sentent bien avec ce flamenco et d'autres qui préfèrent celui que l'on a toujours fait.

Serais-tu prêt à travailler avec des artistes étrangers au flamenco, d'autres inspirations musicales, indiennes, arméniennes...?

Oui, d'ailleurs j'ai fait un spectacle avec une danseuse indienne qui venait de New-York. Nous avons fait une danse hindoue. Le flamenco fusionne bien avec la danse indienne, ce fut une très jolie expérience.

Tu connais le Canada, l'Italie, la France, l'Allemagne, le Portugal, le Pérou, les Etats-Unis...dans ta vie d'artiste tu as énormément voyagé. Quelles sensations t'ont laissé tes voyages à travers les cinq continents ? des différences culturelles, des sources d'inspiration...?

Le public est différent dans chaque pays. Si tu pars en Amérique du Sud, les gens réagissent de la même manière que les espagnols, tandis qu'ils réagissent plus fraichement dans les pays froids.

Oui ça m'inspire car chaque voyage t'apporte un souvenir et une expérience nouvelle.

En 2001, tu as décidé de transmettre ton art dans ton école de Séville. Que t'ont apporté les élèves ? et qu'attends-tu d'eux ?

J'essaye de transmettre à mes élèves tout le flamenco que je connais, et de leur enseigner ce qu'est le flamenco, ce qu'est le flamenco puro.

Comment définirais-tu la personnalité de ton flamenco ? A-t-il évolué au long de ton parcours ?

Un flamenco traditionnel, de la racine pure, celle de la vie. Il a évolué mais tout en restant pur. Ce n'est pas parce qu'on fait du flamenco pur que l'on doit danser comme il y a quarante ans. On peut danser " puro " mais en évoluant.

Quelle est l'idée, le moteur qui te guide pour créer une chorégraphie ? De quelle idée pars-tu ?

Selon la façon dont je me lève (s'exclame Juan en riant). La chorégraphie dépend de l'énergie que tu as. Il y a des danses qui t'inspirent la joie, d'autres la tristesse. Le flamenco est ta personnalité, tu vas danser et transmettre des choses aux gens en fonction de ce que tu ressens.

Donne-moi deux ajectifs pour décrire ton tempérament.

Je ne sais pas…le flamenco c'est ma liberté, je pense qu'il n'y a qu'un seul mot.

Es-tu perfectionniste ?

Oui, mais j'improvise aussi beaucoup, j'aime çà.

Quelle est la définition du mot "liberté" pour toi ?

Tout : amour, désamour, joie, tristesse, amertume... C'est le reflet de tout ce que je ressens en réalité.

Quel pourcentage de doute y-a-t-il en toi et à quoi ça ressemble ?

Parfois, on doute beaucoup. Quand on essaye d'améliorer les choses, le doute est toujours là, car le guitariste ou le cantaor va te dire " pourquoi ne pas essayer ça ? Ca serait mieux ". Je suis une personne qui improvise beaucoup.


"J'improvise beaucoup" 


La vie des artistes a deux facettes : la vie sur scène et la vie privée. Les deux sont très liées. Penses-tu que cette façon de vivre fait partie d'un art de vivre ? Ressentir les choses avec plus d'intensité, savoir se protéger ?

Non, car je sépare totalement ma vie privée du flamenco. Par exemple, je termine mes cours le vendredi, je passe mon samedi et mon dimanche avec des amis qui n'ont rien à voir avec le flamenco. J'ai des amis dans le flamenco, mais j'essaye de faire la séparation entre les deux mondes quand je sors. Ce sont deux choses distinctes, ma vie privée appartient à une partie et le flamenco à une autre.

L'artiste connaît l'ivresse des tournées, la magie des représentations, mais aussi la solitude à certains moments de sa vie, parfois liée au fait de dépendre du désir des autres. Des moments difficiles à gérer, dans l'attente d'un projet ou l'abandon après la tournée. De quelle façon vis-tu la solitude ?

En réalité oui, car quand on fait un spectacle, on y va à plusieurs, mais quand on donne un stage de flamenco, on y va seul et souvent on se sent seul. Par exemple je suis parti donner un stage en Russie, sans guitariste, sans chanteur, et j'ai ressenti cette solitude. Quand tu as un projet c'est différent car tu as beaucoup d'espoir, c'est une grande joie, tu dois penser à ce que tout se passe bien.

Les spectacles, les tournées, les entraînement...le corps montre des signes de fatigue. Sur scène quelle est ta relation avec ton corps ?

Sur scène j'essaye de tout donner, en réalité je ne suis fatigué que lorsque j'ai fini de danser.

CARLOS SAURA a dit : "Le flamenco n'a pas d'histoire, on ne sait pas comment ça a commencé". Peux-tu continuer cette phrase : "Il était une fois..."

On dit qu'il vient des indiens, des noirs…On ne sait pas vraiment d'où vient le flamenco, le flamenco est par définition très libre, très ouvert.

Si le flamenco était un voyage, en se basant sur la philosophe de LAO TSEU qui dit "Un voyage de mille kilomètres commence avec un pas", peux-tu me dire combien de pas tu as parcourus jusqu'à aujourd'hui?

Enormément, je ne sais pas, mais énormément…!

As-tu d'autres projets en tête ?

Aujourd'hui on est à Paris pour le spectacle AIRE FLAMENCO, ensuite nous allons en tournée en Allemagne, puis en Russie, ensuite au Festival de Bratislava, puis à Pékin et Hong-Kong. Et ensuite nous retournons à Séville pour préparer la tournée de l'année prochaine.

Nous avons un projet pour la biennale de flamenco 2008. Nous voulons faire un spectacle de flamenco avec du blues et du jazz, c'est un très beau projet.

Remerciements à Juan Polvillo pour sa disponibilité, à l'équipe de PLANÈTE ANDALUCIA et à JEAN-MARIE qui nous ont aidés à réaliser l'interview dans les meilleures conditions.

Reportage : MURIEL MAIRET
Traduction : MURIELLE TIMSIT

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flamenco-culture.com - Le 21/10/2007