L'interview de la semaine 


Juan Carmona : "El Gitano Frances"


Juan, nous sommes ici dans le cadre du Festival "PROVENCE, TERRE DE CINEMA". Tu fais partie du jury et donne également un concert pour clotûrer le festival. Tout au long de cette journée "Provence, Terre Gitane", nous avons pu visionner des films consacrés à la communauté gitane.

C'est quoi pour toi être gitan ?

Pour moi être gitan c'est être quelqu'un qui peut s'adapter à tout, notamment s'adapter à la vie d'aujourd'hui par exemple...et je pense qu'il faut arrêter avec tous ces clichés, les poules, les roulottes et tout ça comme on vient de voir...(ndlr : durant le débat après la diffusion du magnifique film "LATCHO DROM" de TONY GATLIF, un des animateurs a ammené des poules sur le plateau, et, récemment, France 2 a voulu interviewer Juan Carmona devant une roulotte : ces amalgames semblent agacer Juan qui a profité de l'écoute de l'auditoire présent pour mettre en garde les profanes et préciser qu'il fallait arrêter d'associer le flamenco aux gipsy kings ou au folklore espagnol).

Que penses-tu de la condition de la femme gitane ?

Si on reste dans le moule que nous ont enseigné nos grand-parents, effectivement la femme gitane a une place précise qui est s'occuper de la famille, c'est vrai que les gitans peuvent être très machos aussi..maintenant si on commence à rentrer un petit peu dans l'actualité des choses on se rend compte que peut-être les gitans aujourd'hui sont un peu plus ouverts, peut-être qu'ils acceptent plus de choses...Après tout dépend de l'éducation, mais moi en ce qui me concerne je n'ai aucun problème à ce que ma femme travaille, fasse des études...ça ne l'a pas empêchée d'avoir un DESS, tu vois.

Connais-tu Mossa qui a écrit le livre "La gitane et son destin", as-tu lu son livre ?

Ah oui, c'est Bernard qui a fait ça (ndlr: BERNARD LEBLON, grand specialiste de la culture gitane), il m'en avait parlé mais malheureusement je ne l'ai pas encore lu. Mais sans l'avoir lu j'imagine ce qu'il y a écrit dedans, tu vois c'est comme les poules, ça aussi c'est un cliché, tu ne peux pas te baser là-dessus..c'est vrai que ça existe encore et il ne faut surtout pas cautionner ça, on est d'accord, mais il n'y a pas que ça, mais ça tu le retrouves dans toutes les cultures aussi.

Et le flamenco, que représente-t-il pour toi ?

Le flamenco c'est un tout, c'est ma philosophie...c'est une façon d'être, de manger, de rire, de boire, de s'amuser, c'est un peu le moteur de ma vie...et les gens souvent ne comprennent pas quand je dis ça, mais je ne pourrais pas vivre autrement que comme ça. Quand tu allumes la télé et que tu regardes ce qui se passe dehors, heureusement qu'il y a le flamenco. Ca ne m'empêche pas d'avoir les pieds sur terre et d'être complètement réel dans ce que je fais, et d'assumer mes responsabilités, mais j'ai besoin de quelquechose qui puisse me donner des émotions autres que la vie que je croise tous les jours.

Comment as-tu appris la guitare flamenca ?

J'ai appris la guitare flamenca comme tous les gitans, c'est à dire de façon traditionnelle. Pour moi Noel, c'était très important, plus pour pouvoir entendre du flamenco que pour avoir mon cadeau. J'attendais le 24 Décembre avec impatience pour pouvoir faire du flamenco, et voilà comment j'ai appris en entendant les cousins et cousines jouer. C'est ce qu'on appelle la tradition orale...c'est vrai qu'après je suis parti me perfectionner en Espagne, mais je n'ai jamais pris de cours ici en France.

Ton dernier album, "SINFONIA FLAMENCA", mélange musique classique et flamenco, que t'apporte le flamenco-fusion ?

Le mot fusion, je ne sais pas si c'est vraiment le mot qui convient, parce que j'essaye de garder vraiment les racines quoi qu'il en soit, même si je mets un orchestre symphonique. Ce genre d'expérience m'apporte l'ouverture, je ne pourrais pas tenir toujours le même discours, je m'ennuierais, j'ai besoin de m'enrichir, d'aller voir ailleurs ce qui se passe, et ensuite je prends tout ça et je l'amène dans mon terrain.

Je crois que tu es le seul grand guitariste à avoir travaillé sur un album entier de sévillanes, l'album "COSAS DE DOS", pour moi ce sont parmi les plus belles sevillanas que j'ai écoutées, et c'est dû en grande partie à ta musique, considères-tu que les sévillanes font partie du flamenco ?

Juan confirme qu'il est bien le seul guitariste à avoir réalisé ce type d'album et me remercie avant de répondre à la question.
Non, par contre je peux dire qu'elles ont été flamenquisées de plus en plus, par exemple j'ai eu la chance de pouvoir travailler beaucoup avec Isidro Muñoz, qui est le producteur des films de Carlos Saura, dont "Sevillanas", et je peux te dire qu'aujourd'hui les sevillanas ont un grade beaucoup plus haut que ce qu'il y avait avant, c'est beaucoup moins folklorique.

As-tu des préférences pour certains palos du flamenco ?

Peut-être par rapport à mes origines la buleria...et comme j'ai vécu à Jerez pendant longtemps..c'est un jeu ou on s'amuse, et ça fait partie de ce que je préfère.

Tu as travaillé avec les plus grands artistes espagnols (Terremoto hijo, El Capullo, Duquende...pour ne citer qu'eux), Peux-tu nous parler des moments qui ont marqué ta carrière ?

Oui, j'ai eu la chance de travailler avec Isidro Muñoz, Manolo Sanlucar, Terremoto, Capullo, Fernando de la Morena, La Paquera, tous les gens de Jerez...J'ai eu la chance de cotoyer Paco de Lucia, parce qu'il m'a décerné un prix. J'ai aussi travaillé avec des grandes stars du flamenco, aussi bien du chant que de la danse comme par exemple Antonio Canales. Dernièrement j'ai enregistré avec Joaquin Grilo... C'est ce qui me tire, j'ai besoin de ça pour pouvoir continuer à être inspiré et à créer.

Comment as-tu fait en tant que français, lyonnais, pour t'intégrer au monde du flamenco espagnol ?

Je crois que ce qui m'a sauvé c'est que j'étais gitan. Là-bas, ils m'appelaient "El Gitano Frances", je pense que c'est pour celà qu'ils m'ont accepté, et peut-être aussi par rapport à ma démarche qui était tout à fait noble, ce n'était pas, "Je viens sur votre terre pour voler le pain", ce n'était pas du tout ça, c'était plutôt "je suis là pour écouter et apprendre". Je suis parti directement à Jerez, je me suis présenté au concours, je l'ai gagné et à partir de là tout le monde me connaissait. Tu sais c'est le concours phare là-bas, c'est celui que Paco de Lucia a gagné quand il avait 14 ans.

Quelles relations as-tu établies avec les gitans d'Espagne, te sens-tu proche d'eux ?

Très très bonnes, justement, peut-être meilleures qu'ici. Quand j'étais là-bas je me sentais plus proche d'eux que de ceux d'ici. Ici quelquepart le gitan est tellement en manque de culture gitane qu'il va excéder dans la tradition.

Nous sommes interrompus un instant par la charmante Sabrina Romero qui vient dire bonjour à Juan.

Et les Carmona de Grenade, as-tu des relations avec eux ? As-tu vu le DVD Herencia flamenca ?

Malheureusement non, dans le dernier disque j'en ai invité un, Pepe Luis, qui est le fils de Pepe Habichuela, mais je ne les connais pas assez, et j'aimerais beaucoup les connaître. Et oui, tout à fait, j'ai vu le DVD, il est super.

Tu pars bientôt en tournée aux Etats-Unis, dans quelles villes vas-tu te produire ?

Là on part à Chicago, à Memphis, à Los Angeles, à Hawaï, après on part au Mexique, au Canada...

As-tu d'autre projets ?

Là je suis en train de terminer un DVD de mes concerts, et je suis aussi en train de finir un album

Hier soir j'ai rencontré par hasard deux de tes élèves, dont Marco de Saint-Raphaël, je ne savais pas que tu enseignais, peux-tu m'en dire plus sur ce que tu fais au niveau pédagogique ?

Alors en fait j'ai un CA, qui est un diplôme au dessus du diplôme d'état. J'essaye de transmettre le flamenco tel qu'il se transmettait avant. Ce n'est pas parce que ça se passe au conservatoire que j'applique la pédagogie du conservatoire (ndlr : nous verrons ensuite dans le reportage "Le flamenco à Fleur de peau" que les cours de Juan ne concernent pas seulement la guitare, mais aussi le cajon, et l'apprentissage du compas).


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flamenco-culture.com - Murielle Timsit - Le 01/04/2007