L'interview de la semaine 

Jesus Corbacho : l'enfant de Huelva 

 

C'est Muriel qui lors d'un spectacle à la Casa de la Memoria à Séville tombe sous le charme de la voix de Jesus CORBACHO. Ce cantaor à la voix laina qui rappelle celles d'autres chanteurs de sa terre comme ARCANGEL ou Jeromo SEGURA est en effet bourré de talent. Mais au délà de l'artiste, c'est un personnage très sympathique qui nous accueille après son récital à la Maison des Cultures du Monde : une belle rencontre.


Jesus, tu as 20 ans, tu viens de Huelva, tu as commencé à chanter à deux ans, comment as-tu pris cette décision ?

A deux ans j'ai commencé à chanter por fandangos. Je ne suis pas issu d'une famille flamenca mais là-bas à Huelva le palo typique est le fandango, alors mes parents au lieu de me chanter une berceuse pour m'endormir me chantaient des fandangos alors c'est comme ça que j'ai appris. Ensuite j'ai commencé à me consacrer plus sérieusement au cante à partir de l'âge de 11 ans.

Tu viens donc de Huelva, la terre des fandangos, c'est ton palo favori ?

C'est un de mes préférés, bien sûr ! Mais en fait je n'ai pas vraiment de palo favori, j'aime bien chanter de tout et j'essaye toujours de varier mon répertoire pour ne pas sombrer dans la monotonie.

Quelles sont tes relations avec les autres cantaores de ta terre comme ARCANGEL ou ARGENTINA ?

Avec ARGENTINA par exemple, on a commencé à chanter ensemble depuis tout petits. Quand j'avais 11 ou 12 ans, on était tous les deux à l'école de cante de la Peña de Huelva, on avait un groupe qui s'appelait Los Niños de Huelva, nous avons enregistré deux disques. ARCANGEL comme ARGENTINA sont des compagnons et des amis et je m'entends vraiment bien avec eux.

Tu as collaboré à la création de l'Anthologie du fandango de Huelva, peux-tu nous parler de ce projet ?

Ce fût une collaboration de l'époque précisément à laquelle je travaillais avec ARGENTINA et le groupe "Los Niños de Huelva". C'est une Anthologie qu'a réalisée Antonio GONZALEZ "EL RAYA". Comme son nom l'indique, une anthologie du flamenco regroupe tous les styles de fandangos qu'il y a à Huelva, qui sont presque au nombre de 50, et donc j'ai enregistré celà lorsque j'avais 11 ans avec beaucoup d'autres personnes de Huelva, d'autres artistes comme ARCANGEL, ARGENTINA et énormément d'aficionados de Huelva.


"Dans cet art,
c'est impossible de tout savoir" 




Quel serait ton premier souvenir du cante ?

A l'école, comme j'étais le seul enfant à chanter dans la classe, je devais toujours chanter aux fêtes de l'école, le jour de l'Andalousie, lors des fêtes de fin d'année...

Mais j'ai toujours ce souvenir du chant à la maison car mon père chantait toujours por fandango. Alors j'ai commencé à m'y intéresser, à chanter de plus en plus, et je me suis présenté à un des concours de fandango que j'ai eu la chance de gagner. Ensuite je me suis mis à m'intéresser à d'autres palos du flamenco, grâce aussi à ma mère qui était passionnée et qui m'achetait les disques.

As-tu travaillé le chant avec des maestros au début ?

Au début j'ai commencé comme tout le monde en écoutant les disques de CAMARON. J'ai écouté plus d'une fois ce disque de Camaron à Paris, une tonne de fois, Raconte Jesus en souriant. Et peu à peu j'ai continué à me passionner jusqu'à ce que je me présente à Huelva à un concours de la FONDATION CRISTINA HEEREN, pour lequel je reçu une bourse d'études pour étudier dans cette école à Séville, et suis restée 3 ou 4 ans là-bas à étudier avec des professeurs, des professionnels comme Paco TARANTO et José DE LA TOMASA. Ce sont des maestros avec qui j'ai appris énormément. Là-bas j'ai aussi beaucoup appris avec des danseurs comme Rafael CAMPALLO ou Milagros MENGIBAR.

As-tu de la famille dans le monde du flamenco ?

En fait non, mon père n'a jamais chanté en tant que professionnel. Avec ma sœur on allait à la peña flamenca de Huelva, elle aussi a gagné des concours avec moi, mais ne s'y est jamais consacré professionnellement. C'est vrai que la mère de mon père chantait aussi por fandango mais il n'y a jamais eu aucun professionnel dans ma famille.

Tu joues de la guitare aussi, non ?

Oui, ça me plaît beaucoup. En réalité j'ai commencé à la Peña Flamenca de Huelva avec la guitare, pas avec le cante. Je me suis inscrit quand j'avais 9 ans et j'ai commencé à jouer, mais comme ce qui m'attirait le plus, ce qui me plaisait le plus était le cante, finalement...Je joue chaque jour de la guitare car j'adore ça mais c'est plus mon truc le chant que la guitare.

Comment ta famille a-t-elle vécu les débuts de ta carrière professionnelle ?

Ils étaient ravis. Au début ils avaient un peu de peine car je devais aller à Séville, car à Huelva il y a très peu de flamenco. A Huelva il y a beaucoup de gens qui chantent mais pas de flamenco. Et pour mes parents ne pas voir leur fils de 17 ans durant presque une semaine...Mais grâce à Dieu ils m'ont soutenu et ont toujours fait leur possible pour que je sois heureux et que j'arrive à faire ce que voulais, ce qui meplaisait, c'est-à-dire chanter.

Comment vis-tu cette ascension fulgurante ?

Je me sens très épanoui. Grâce à Dieu j'ai eu pas mal de chance, mais c'est aussi dû au travail car dans ce monde personne ne te fait de cadeau. Je suis très content du petit chemin que j'ai fait car à 20 ans j'ai déjà eu la chance de travailler avec des gens de premier niveau dans le baile, comme Milagros MENGIBAR, Rafael CAMPALLO, Belen MAYA ou José GALVAN. Et hier par exemple j'ai travaillé avec Rocio MOLINA, un peu par accident car le chanteur prévu initialement ne pouvait plus y aller. Et le matin je me suis rendu compte que je devais chanter le soir-même !

Penses-tu avoir mûri plus vite que les jeunes de ton âge ?

Les gens disent que oui, qu'on ne dirait pas que j'ai seulement vingt ans, mais j'ai des facettes d'un jeune de vingt ans et d'autres plus matures. Quand tu es artiste ou que travailles dans le domaine de l'art...je pense que l'art t'incite à mûrir plus rapidement oui.

Quel est ton premier souvenir de scène ?

C'était lors d'une fin de cours à une fête de Noël à la Peña Flamenca de Huelva, lorsque je chantais avec ce groupe d'enfants. J'étais très nerveux. En plus on devait tous être habillés pareil, avec un pantalon et une chemise bleu marine, et moi je n'avais trouvé nulle part un pantalon et une chemise bleu marine, alors tout le monde était vêtu de la même façon sauf moi !

Quelques jours après j'ai chanté à une autre fête de Noël, et je devais jouer de la guitare et chanter, j'avais 11 ans. Je ne savais chanter que des fandangos, et bien sûr j'étais tellement nerveux que bien sûr je me suis trompé, je devais m'arrêter et tout. Et quand je me souviens de ça je ne peux m'arrêter de rire !

Maintenant, grâce à Dieu j'ai la chance de travailler dans des théâtres immenses, de voler, de voyager, des choses qu'à l'époque je n'aurais jamais imaginées dans la vie.

As-tu peur avant de monter sur scène ?

Non, je n'ai pas peur. Je pense qu'on doit avoir peur d'autres choses, de la guerre par exemple, mais peur de l'art jamais. Monter sur scène t'impose le respect, et je pense qu'on doit être un peu nerveux avant de monter sur scène mais plus par respect pour le public qui va t'écouter.

Tu as travaillé avec des excellentes danseuses comme Milagros MENGIBAR, Belen MAYA, Alicia MARQUEZ, que t'ont enseigné ces expériences ?

C'est une chose fantastique, car comme je te disais avant, à 20 ans avoir travaillé avec ces gens... Avec Alicia c'était la première fois que je voyageais à l'étranger, nous étions allés en Autriche, et ça s'est très bien passé. Je n'étais jamais monté dans un avion et maintenant je le prends tout le temps. La semaine passée j'ai voyagé en Australie, en Chine et à Hong-Kong avec Manuel LIÑAN, Olga PERICET et Merche ESMERALDA...

Comment définirais-tu la personnalité de ton flamenco, a-t-elle évolué au long de ton parcours ?

Oui bien sûr, en tout cas je l'espère. Je note une différence car j'apprends des gens avec qui je travaille. Je sens que j'ai évolué, mais je sais que j'ai encore beaucoup à apprendre, et que mourrai sans savoir tout car dans cet art c'est impossible de tout savoir.

J'aime que les gens sentent ce que j'essaye de transmettre, ma personnalité. Je crois que ça a beaucoup à voir avec la personne, pas seulement l'artiste. Je me considère comme une personne sympathique, agréable, aussi grâce à mon type de voix, un peu douce. Ce n'est pas un chant de type gitan car je ne suis pas gitan, mais j'aime tous les types de cante, et j'essaye de les faire un peu à ma manière, à ma façon, et ma façon c'est quoi ? celle qui sonne lorsque j'ouvre la bouche.


Questions : Muriel MAIRET, Murielle TIMSIT
Montage audio : Muriel MAIRET
Traduction : Murielle TIMSIT

Remerciements à Jesus CORBACHO qui a récemment été primé au Festival de La Union avec le prix "Por Malagueñas", et à Coline-Lee TOUMSON de la Maison des Cultures du Monde

ENTRETIEN PROTEGE NE POUVANT ETRE DIFFUSE NI EN INTEGRALITE NI EN PARTIE SANS DEMANDE D'AUTORISATION EFFECTUEE AU PREALABLE AU SITE WWW.flamenco-culture.com.- COPYRIGHT SUR LES QUESTIONS ET LES REPONSES DES FICHIERS SOURCES AUDIO, VIDEO et ECRITS.

flamenco-culture.com - 23 Novembre 2007