L'interview de la semaine 

Javier Puga : un passionné passionnant  

 

Javier Puga est le directeur artistique du Festival Arte Flamenco de Mont-de-Marsan depuis ses débuts. Il me semblait donc indispensable de le rencontrer à l'occasion du XXème anniversaire du Festival : un entretien fort intéressant.


Comment s'est faîte votre rencontre avec le flamenco ?

A 17 ans. Je viens d'une famille andalouse qui n'a aucun rapport avec le flamenco. Je suis arrivé à Séville pour devenir un futur architecte, pour étudier à l'Université. [...] J'ai donc connu le flamenco quand je suis allé étudier à Séville à l'Université, et mes études d'architecture ont été éclipsées par ma rencontre avec le flamenco. A partir de ce moment j'ai connu beaucoup de gens donc Antonio MAIRENA, Paco TORONJO, Juan TALEGA. J'ai connu d'autres passionnés jeunes comme moi et on s'est retrouvés dans les fêtes. A Séville à cette époque malgré la dictature, il n'y avait pas de danger, on allait partout où on voulait, on vivait la nuit sans aucune contrainte. C'était autre chose. C'est comme ça que je suis entré dans ce monde qui m'a complètement attrapé dans sa toile d'araignée, et pour la vie. J'ai rencontré de plus en plus de gens, je me suis intégré d'une certaine manière dans des familles gitanes. J'ai eu des amis gitans qui n'étaient pas artistes, mais qui avaient des gens de leur famille qui étaient artistes, j'ai été invité à des noces, à des baptêmes, et tout ça m'a attrapé.

Beaucoup d'années après j'ai eu la chance de rencontrer à Ceuta, l'île du Nord du Maroc où j'avais grandi, un grand monsieur, un mécène du flamenco qui s'appelait Paco VALLECILLO. Ce monsieur était une grosse tête du flamenco, écrivain, flamencologue...et surtout il était le grand ami d'Antonio MAIRENA. Il était le président de la peña flamenca de Ceuta qui à l'époque grâce à lui avait une activité énorme. Les festivals de flamenco de Ceuta étaient fabuleux, la programmation était fabuleuse...et lui dans sa peña il invitait les meilleurs.

Après Séville je suis parti en France, et ensuite je revenu à Ceuta où j'étais professeur de français, mais Séville me manquait : Séville me manquait, Séville me manquait, j'avais l'obsession de revenir à Séville. J'ai abandonné ma carrière brillante de professeur de français à l'Université de Grenade qui avait une antenne à Ceuta. J'ai tout abandonné pour revenir à zéro, et aller à la rencontre de la ville de Séville, et je savais que derrière et dedans la ville était le flamenco que je voulais vivre. Et c'est comme ça qu'en 1982 je me suis installé à Séville. Je savais exactement où aller, et pendant une période de quelques années j'ai consacré beaucoup de temps à aider les artistes, lorsque je pouvais aider j'aidais. J'étais un mécène pauvre. J'ai fait la rencontre d'artistes qui sont devenus de grands amis, presque des frères, certains avaient une carrière montante qui a littéralement explosée, ils sont devenus têtes d'affiche. J'avais une voiture alors je les trimbalais dans les peñas, on allait à Madrid tous ensemble. Je leur prêtais le siège de l'académie de langues que j'avais montée à Séville lorsqu'il n'y avait pas cours pour qu'ils puissent répéter. C'était un espace magnifique.

Dans mon académie j'ai développé une activité culturelle tous les jeudis. On fermait l'après-midi et on ne s'occupait que de la culture. C'est comme ça que j'ai étudié beaucoup, j'ai commencé à faire une étude sur les textes du flamenco, je les utilisais aussi pour mes cours d'espagnol pour étrangers. J'essayais toujours de garder un lien avec le flamenco dans ma profession d'enseignant. Ca m'a amené à être en contact avec l'Institut Français de Séville qui était une véritable institution. Malheureusement le gouvernement français l'a supprimé, ils ont vendu le bâtiment qu'ils avaient, je ne comprends pas pourquoi, il y avait 500 élèves qui étudiaient le français là-bas. Grâce à mes très bons contacts avec la directrice de l'Institut Français qui venait souvent à nos soirées de culture, c'est comme ça qu'un jour quelqu'un jour quelqu'un de France Culture a débarqué à Séville et m'a demandé de l'aider. C'était une dame qui était réalisatrice à France Culture, elle aimait beaucoup le flamenco et m'a demandé d'être son interlocuteur. Et finalement je suis devenu son coréalisateur, son speaker espagnol. Ca m'a obligé à étudier de façon plus approfondie le flamenco et à organiser mes connaissances qui étaient assez restreintes. Je ne me suis jamais considéré comme un chercheur ou un connaisseur du flamenco, j'étais passionné de flamenco et ça ne m'intéressait pas de savoir qui est qui ou qui est né quand. Après, au fil du temps on arrive à tout connaître, tout ce qui est dans les livres plus ou moins on connaît, mais je n'ai pas étudié dans les livres...tu comprends ce que je veux dire ?

Alors je suis devenu, disons le correspondant de France Culture pour la culture andalouse. Et on a fait des programmes que je garde encore avec amour. Il m'arrive encore de réécouter ces programmes car ils étaient très bien faits. On faisait des interviews sur place chez les artistes, des études de sujets de manière très approfondie. Ce programme dont les gens se rappellent encore s'appelait Flamenco, un chemin de plainte et de jouissance. C'était à France Culture sous la direction de Brigitte MASSON.

Et c'est comme ça que le Festival de Mont-de-Marsan m'a trouvé, à cause de tout ce parcours. Ca a été quelque chose de très naturel. A l'automne 1989 Madame EMMANUELLI est venue à Séville après la première édition du festival et est allée voir la directrice de l'Institut Français pour lui raconter ce qu'ils avaient fait et lui a dit qu'ils cherchaient des gens. Et cette dame lui a répondu "Mais je connais quelqu'un qui peut vous aider", et c'est comme ça qu'on a fait la rencontre qui dure déjà depuis 19 ans. C'est magnifique, je suis vraiment honoré, c'est un grand plaisir pour moi. C'est vrai que j'étais déjà très branché flamenco, le flamenco était mon style de vie, et il l'est toujours d'une certaine manière, même si je suis éclectique, je ne suis pas que flamenco. Mais c'est vrai que le flamenco m'a marqué, a marqué ma vie. Et travailler sur ce festival m'a obligé à travailler de façon différente. Je suis un amateur car j'aime, amateur dans le sens d'amour, pas dans ce que je fais. J'essaye de travailler très professionnellement, je suis entouré de professionnels de la culture, de techniciens, et je dois être au moins au même niveau qu'eux, je m'impose celà. En même temps j'ai mon flair, ma manière de programmer, à mes goûts, comme je le vis, comme je sens le flamenco. Dans cette programmation, un bon pourcentage est le reflet de ce que je vis, ce que je pense et ce que je sens. Alors la "formule" d'avoir un directeur artistique basé sur place en étant un festival étranger, je trouve que c'est une formule très réussie, du moins dans notre cas, car ce n'est pas si évident d'approcher le flamenco en étant étranger, en vivant à l'étranger, même si on a des ressources, et des infrastructures pour faire le festival.

Quel bilan faites-vous de ces 20 années de festival ?

Je ne peux faire qu'un bilan très positif, le bilan que tout le monde fait. Je ne suis jamais satisfait mais en même temps fier de ce qu'on a fait. Jamais satisfait car dans une opération comme celle-là, il faut toujours aller plus loin. Mais en même temps on a un sujet très complexe car ce n'est pas nous qui inventons le flamenco, ce sont les artistes qui le font évoluer et vivre.

Quelles sont les raisons du succès du festival ?

La recette c'est : tout d'abord une bonne programmation, un magnifique accueil des artistes et du public, et de tous ceux qui travaillent dans le festival : techniciens, stagiaires…Une magnifique organisation avec très peu de gens. Nous sommes très peu nombreux et on fait beaucoup de choses avec peu de gens. Pendant la semaine du festival il faut être costaud sinon on peut avoir une attaque au cœur. Ensuite, avoir l'avoir l'appui d'une ville comme celle de Mont-de-Marsan qui est idéale pour faire un festival de cette dimension, celui des politiques du Conseil Général des Landes, des politiques de la Mairie, des politiques de l'Andalousie, et avec tous ramasser suffisamment d'argent, même si notre budget est assez limité par rapport à tout ce que l'on fait. Je suis persuadé qu'un festival de cette dimension ailleurs coûterait le double ou au moins 50% de plus, car on utilise bien l'argent.

Et l'ambiance dans la ville…le concept de qualité de la programmation. Tout le monde veut avoir la qualité mais ici on sait qu'on l'a et on amène les artistes sur scène dans des conditions correctes. On continue à améliorer les infrastructures au niveau des lumières et du son dans les salles. Je crois que la nouvelle disposition du Café Cantante est extraordinaire. On est arrivés à avoir une salle B aussi performante que la salle A. Et ça n'a pas perdu l'intimisme, les qualités, l'ambiance de ce que l'on considère un Café Cantante. Et Le Marché de la Place Saint-Roch, avec l'aménagement que font les travailleurs de la Mairie, moi je trouve que c'est impeccable.

Je suis très exigeant sur le son, et le son qu'on a maintenant on ne peut pas demander mieux. On est au top des machines qui existent sur le marché actuel, les plus évoluées, et c'est beaucoup. On a des techniciens magnifiques qui travaillent à fond avec une équipe très réduite, qui dort peu et qui travaille très durement. Et ça il faut le reconnaître. Et surtout les volontés de tout le monde.

Selon vous que manque-t-il au festival, un stage de cante ?

C'est moi qui n'ai pas voulu le faire car le cante ne s'apprend pas. Je ne voulais pas non plus faire de stage de cajon mais comme c'est une demande tellement précise, et c'est vrai qu'il est tellement présent sur scène, on a pris un des meilleurs avec Antonio MONTIEL.

Cette année il y a beaucoup de nouveautés, pourquoi avoir changé autant de choses ?

Car on est arrivés aux 20 ans, alors on a réfléchi. Peut-être qu'il y a des changements qui ne sont pas si réussis.

Comment choisissez-vous les professeurs des stages ?

Depuis que Madame Isabelle SOLER a arrêté son travail comme directrice des stages de danse, on a essayé de s'en occuper directement une année sans personne dédiée ni appui externe mais c'était trop compliqué . Un jour José-Carlos de Taller Flamenco à Séville s'est proposé pour nous donner un coup de main, alors on a fait un essai une année, et ça a marché impeccablement jusqu'à aujourd'hui. José-Carlos et son équipe s'occupent de proposer des professeurs. Moi aussi je propose des professeurs, alors nous définissons ensemble ce que l'on va faire. Par exemple je lui ai proposé de faire venir BOBOTE pour le "compas de fiesta", je lui ai proposé de faire un stage de "baile para fiesta" avec EL JUNCO, je crois que ça a beaucoup plu. J'ai proposé de faire venir Milagros MENGIBAR car elle le mérite énormément, c'est une des dernières représentantes de l'école classique de Séville. Il fallait absolument qu'elle soit présente aux master-class. Même Pastora c'est moi qui l'ai proposée. Et lui il propose tout le reste : par exemple EL GAMBA. EL GAMBA ça fait des années qu'il vient, car il est impeccacle, il le fait très très bien, il est gentil...Donc Taller Flamenco résoud les choix mais aussi l'administration de tous ces stages.

Les habitués disent que cette année l'ambiance était différente...

Peut-être. Mais je ne peux pas gérer un festival Off, j'en ai déjà parlé mais c'est impossible. Je ne veux pas trop entrer dans ce débat. Moi je finis ma journée de travail vers 1h/2h du matin et je me lève à 8h du matin. Donc ce qui se passe entre 2h du matin et 8h du matin, ce n'est pas de ma compétence. Mais c'est vrai qu'à l'époque, il y a longtemps, je passais beaucoup de nuits blanches ici à Mont-de-Marsan, j'étais le premier à faire la fête avec tous mes amis artistes. C'était aussi une démarche privée. Il y avait des gens comme le propriétaire du 10 bis à l'époque qui mettait son bar à notre disposition. Il y avait une ambiance de sévillane, mais quand les gens du flamenco arrivaient les sévillanes se finissaient et la fête se produisait comme ça spontanément, et c'est là qu'on a vécu des moments incroyables. Maintenant il y a d'autres interférences...

Quelles sont ces interférences qui empêchent la fête de se produire ?

Les fêtes se produisent mais dans un cercle très privé et très restreint. Ca on n'y est pour rien. Les artistes aiment rester entre eux et être libres, sans aucune contrainte. Si je fais une Peña B parallèle avec les mêmes conditions c'est impossible. Je comprends que c'est dommage car il y a 270 stagiaires magnifiques, mais hier il y avait la première au Café Music, je crois que ça s'est très bien passé. C'est aussi aux gens de créer l'ambiance, on ne peut pas organiser l'amusement des gens hors-festival. Avant on avait la Peña Tio José de Paula mais ce sont des femmes qui ont maintenant plus de 90 ans. On assiste aussi au renouvellement des générations du flamenco. Les artistes qui viennent maintenant ce ne sont pas les mêmes que ceux qui venaient avant.

"Le flamenco m'a attrapé" 




Comment voyez-vous l'évolution du flamenco ?

Si l'évolution c'est détruire le flamenco je la vois mal. Si c'est partir des bases je la vois mieux. On montre l'évolution ici. La véritable évolution est montrée à Mont-de-Marsan.

La véritable évolution de la guitare par exemple. On a eu des guitaristes incroyables depuis le premier jour avec Eva YERBABUENA on a écouté un concert de guitare de Paco JARANA qui est un dieu de la guitare actuellement, il l'a été toujours. On ne peut pas dire qu'il a sacrifié sa carrière pour sa femme, il a partagé sa carrière : car Eva danse la musique de son mari, et son mari compose pour elle et joue pour elle. En plus il avait un acolyte, le jeune Ricardo RIVERA qui à son âge est déjà un monstre. Et puis on a vu deux grands consacrés comme Manolo FRANCO et Niño DE PURA hier soir. Moi je trouve que c'est un niveau invraisemblable. Ou Dani DE MORON aussi. La guitare a évolué et on montre cette évolution ici. Ce n'est pas seulement Paco DE LUCIA ou Vicente AMIGO, il faut voir d'autres générations qui sont déjà dans la quarantaine.

Et en ce qui concerne le baile, je crois qu'on a un peu dépassé cette manie de "que la technique, que la technique, que la technique", et pensé un peu à danser pour la musique, danser pour le cante. On commence un peu à comprendre qu'il n'y a pas que les claques de pieds, il y a autre chose. Mais il y a des grands claqueurs de pieds comme JUAN DE JUAN, et il faut le montrer aussi, cette énergie, cette explosion...mais le baile est ouvert, c'est pour ça que cette grande dame qu'est Milagros MENGIBAR est aussi ici pour montrer son art, c'est un personnage.

Et le cante, le vrai cante, ça peut aussi évoluer, bien sûr, mais attention, dans quelle direction ? car on parle beaucoup de fusion, on parle aussi beaucoup de confusion. Il ne faut pas confondre les genres. Le cante a évolué au début du XXème siècle à un niveau invraisemblable par des conditions concrètes sociales et géographiques, de la vie. Maintenant ces bases il ne faut jamais les oublier, à partir de ça on peut faire peut-être plus ou moins ce qu'on veut, mais si on oublie les racines, si on oublie d'où on vient, on ne sait pas où va. Alors ce sera autre chose peut-être mais ce ne sera pas ce que je conçois comme le vrai flamenco actuellement.

Les jeunes doivent regarder derrière eux. Maintenant on apprend avec les disques, c'est mimétique. Avant on apprenait par la mémoire, par la transmission orale, alors on interprétait vraiment, on réinventait la composition. Maintenant ce n'est plus possible car on essaye de répéter. Alors les compositeurs qui aujourd'hui ont leur propre style ne sont pas nombreux.

Questions, réalisation, montage audio : Murielle TIMSIT

Remerciements à Javier PUGA et aux aficionadas de Besançon qui m'ont aidée à préparer cet entretien.

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Flamenco-Culture.com - 10 Juillet 2008