Eva, tu es de Grenade, quel est ton premier souvenir du flamenco ?
Mon premier souvenir en fait est une voix : mon grand-père aimait écouter la PAQUERA DE JEREZ. Les premiers souvenirs sont donc d'avoir écouté celà là-bas. Plus tard quand j'ai eu 11 ans j'ai pu aller voir un festival qui existe encore aujourd'hui, le Festival Flamenco de los Ogijares. Ce furent mes premiers contacts avec le flamenco...
Quelle serait ta définition du flamenco ?
Il ne fait aucun doute que c'est une forme de langage qui te permet de te réaliser dans plusieurs domaines, de connaître d'autres cultures, d'autres personnes, d'autres pays. C'est l'expérience et la vie d'autres personnes qui vivaient à une autre époque et dans un monde différent de celui dans lequel nous vivons maintenant. Je crois que ce sont des gens qui chantaient, dansaient et jouaient pour manifester leurs besoins, leurs peines, leurs joies.
As-tu des maestros de référence ?
Oui bien sur, j'ai eu mes premiers maestros qui m'ont permis de commencer à découvrir ce qu'était le flamenco.
Et ensuite d'autres références que je n'ai pas eu la chance de connaître car ils ne sont plus là...mais grâce à Dieu nous avons des vidéos d'elles...comme Carmen AMAYA, LA ARGENTINITA (Encarnacion LOPEZ), Pilar LOPEZ.
J'ai eu beaucoup de maestros de référence. Tous ceux qui montent sur scène ou qui ont une école, quelque chose à partager ou à raconter sur le flamenco pour moi ont quelque chose à t'apprendre. Un des conseils que m'ont donné mes maestros est que l'on peut apprendre de tout le monde, et ça je l'ai toujours en tête.
As-tu des origines gitanes ?
Non, il n'y a personne dans ma famille. Personne qui chante ni ne danse...aucun artiste
Comment ta famille voit-elle ton parcours et ta carrière ?
Très bien. Ce qui est bien avec ma famille c'est que tant mon père que ma mère, mes grands-parents, mon frère, mon oncle ont toujours été là pour m'appuyer et me soutenir à partir du moment où j'ai décidé ce que je voulais faire. Et ça c'est très important. Il vivent ma carrière presque par procuration. Ils sont toujours à me demander comment je vais, les prix que j'ai gagné...
As-tu d'autres passions que le flamenco ?
J'adore lire. De la poésie, des romans...je n'ai pas de préférences. En ce moment je lis "Poeta en Nueva York" de LORCA, "L'ombre du vent" de Carlos luis ZAFON...j'aime la variété.
Pourquoi as-tu choisi le baile ?
Je pense que c'est plutôt le baile qui m'a choisie, sincèrement. Ce n'est pas conscient.
Tu ne dis pas "j'ai choisi le baile" mais en réalité "j'aime le flamenco" et "je veux entrer dans ce monde qui m'attire et que je veux vraiment connaître". A ce moment là, quand tu as 11 ans tu n'es pas consciente de ce qui t'arrive, tu crois que c'est toi qui a choisi le baile, mais parfois je pense que c'est plutôt le baile qui m'a attrapée. C'est quelque chose qui te prend. Tu n'es pas conscient, tu n'arrêtes pas de danser quand tu veux, c'est quelque chose qui demande beaucoup de travail et te fait penser que tu es faîte pour cet art.
Il y a une chose que je dis toujours, je suis une personne toujours très timide. Alors ma famille a du mal à comprendre qu'en étant si timide je puisse monter sur scène, tandis que si j'entre dans un lieu où je ne connais personne je suis incapable, même si c'est petit. C'est parce qu'il y a d'une certaine façon tout un processus de transition avant d'aller travailler, il y a le maquillage...c'est comme un déguisement en réalité, j'arrête d'être Eva pour devenir LA YERBABUENA.
"J'essaie de chanter avec le corps"
©Outumuro
Cela t'aurait plu de chanter aussi, non ?
Oui, je suis une cantaora frustrée.
Et tu ne chantes pas un peu ?
Non ! non ! je chante très mal !
Ce qui m'aurait vraiment plu à moi c'est chanter...Pouvoir exprimer ce que tu ressens par le moyen de la voix est pour moi une chose merveilleuse. Mais bon, j'essaie de chanter avec le corps.
Bien sûr on parle toujours de ta solea, mais as-tu d'autres palos favoris ?
J'adore les tientos, les tangos, la siguiriya... Il n'y a aucun baile pour lequel j'ai dit "ça je ne le danse pas". Peut être qu'il y a quelque chose qui m'attire le moins, c'est la rumba. Mais en général j'aime danser de tout.
D'où provient ton inspiration pour danser avec tant d'émotion, transmettre de tels sentiments ?
Il y a une chose qui est très claire pour moi. L'inspiration vient quand tu aimes ce que tu fais, dans mon cas le flamenco, la danse, et l'amour inconditionnel que je lui voue. Regarde à quel point cet amour est inconditionnel : je laisse ma fille à la maison. Si j'avais besoin d'un travail, j'ouvrirais une école et je serais à côté. Mais j'adore mon travail, monter sur scène, et partager des sentiments et des expériences. Il y a une chose qui est très importante pour une artiste, c'est d'ouvrir son cœur à 100%. Il n'y a pas de secret. Si tu le sens tu le sens, si tu ne le sens pas tu ne le sens pas. L'inspiration vient en regardant dehors, voir ce qu'il se passe dans le monde au quotidien...c'est ça qui vraiment t'amène à avoir des choses à raconter, et à t'ouvrir. Et avec cette ouverture dire "Je vais raconter de ce que je ressens sans aucun préjugé."
Danses-tu différemment depuis que tu es mère ?
Oui. Je danse différemment, je ressens différemment. Ça te change la vie complètement.
Mais qu'est-ce qui a changé ?
Tout. Avant, quand je devais faire quelque chose je fonçais. Maintenant quand je dois faire quelque chose je dis "un moment". Je réfléchis et me dis "Premièrement il y a Manuela et après les autres". Tu comprends mieux tes parents et tu sais de quelle manière ils t'ont aimé ...tu comprends pourquoi il t'ont dit non tant de fois et que tu ne comprenais pas pourquoi. C'était seulement "non" et toi tu ne comprenais pas, "pourquoi non ?". J'ai eu les réponses à beaucoup de questions que je me posais...Maintenant je comprends énormément de choses. Ca change la vie dans tous les domaines. Tu es plus mature, plus calme, tu as d'autres préoccupations.
Penses-tu à ta fille lorsque tu es sur scène ?
A beaucoup de choses, quand on est sur scène on pense à beaucoup de choses oui...et à elle oui toujours, énormément.
Estimes-tu avoir amélioré ton baile depuis que tu travailles avec Paco JARANA ? (ndlr : son mari)
Ameliorée...oui j'ai découvert beaucoup de choses avec Paco. C'est comme si 50% de Paco m'avaient aidée à me découvrir et 50 % de moi l'avaient aidé à se découvrir lui. On est toujours réunis ainsi...On commence par être deux et sur scène on ne forme plus qu'un. Il sait exactement comment je respire et ce dont j'ai besoin. C'est pareil pour moi, dés qu'ils commence à jouer je sais déjà comment il va. S'il n'est pas bien, je sais ce que je dois faire, prendre la bonne clé pour faire remonter le truc ou le contraire, quand je ne suis pas bien il sait quoi faire pour que je me sente mieux dans mon baile.
On voit en effet que vous être très connectés sur scène...
oui... (Eva sourit)
Vas-tu transmettre ton art ou bien le fais-tu déjà ?
Parfois, quand je peux je le fais. J'adore enseigner, car c'est le meilleur moyen pour apprendre toi-même. Alors dès que j'ai le temps je le fais. Dernièrement je n'ai pas vraiment eu le temps, mais j'essaie. Plus tard j'aimerai m'y dédier.
Quels conseils donnerais-tu à quelqu'un qui souhaite devenir danseur ou danseuse ?
Patience, amour inconditionnel, tolérance. Et surtout que ce soit une décision personnelle, que tu prends car tu en as besoin et non car quelqu'un d'autre le veux. Par dessus tout car cet art te plaît, pas pour devenir célèbre. Que ça soit vraiment car la danse ou le chant te plaît. C'est la seule manière de bien commencer et de finir bien. C'est mon conseil.