L'interview de la semaine 

Cristina Hoyos : la grâce andalouse 

Le public parisien a découvert Cristina Hoyos en 1969 alors qu'elle accompagnait Antonio Gades au Théâtre de l'Odéon. Ils sont restés longtemps un couple à la scène, mais Cristina a ensuite quitté Gades pour créer sa propre compagnie avec son mari Juan Antonio Jimenez lui aussi danseur. Ce fut un grand moment pour nous de rencontrer cette grande dame du flamenco. Très disponible elle nous a consacré un long entretien que nous vous relatons ci-dessous en attendant le son et les images. Bien qu'ayant prévu de la vouvoyer avec force "usted" et "le", le tutoiement, si habituel en Espagne est revenu naturellement.


Comment s'est faîte ta rencontre avec le flamenco ?

Ma rencontre avec le flamenco c'est très facile. Je suis née à Séville. Séville est une source d'art flamenco.

Celà a commencé avec le baile. Dès que je revenais de l'école, j'allumais la radio, et je me mettais à danser. Alors au départ il y a eu le sentiment de vouloir danser. Ensuite je suis entrée dans une école de danse, et la maestra me jouait au piano des siguiriyas, des alegrias. Puis à 16 ans j'ai commencé à danser professionnellement avec la guitare, je dansais la solea, un peu de tout, mais avec la guitare directement. A partir de là j'ai toujours été en contact avec le flamenco, j'ai toujours essayé d'écouter beaucoup de musique flamenca, d'être avec les flamencos. Alors voilà, ma rencontre s'est faîte d'abord avec le baile, ensuite avec le théâtre, et après la musique. Ce sont trois choses qui vont ensemble.

Es-tu d'origine gitane ?

Non, je ne suis pas gitane et dans ma famille il n'y a pas d'artistes non plus. C'est une fée qui a dit "que Cristina danse". C'est un sentiment, je danse le flamenco car celà me plaît.

Quelle serait ta définition du flamenco ?

Le flamenco fait partie de la culture andalouse née du peuple. Premièrement il est né du peuple, chez les gens, ensuite il y a des personnes qui en ont fait leur profession et l'ont montré sur scène. Mais celà a commencé comme un mode de vie. En Andalousie les gens chantent le flamenco même s'ils ne sont pas professionnels, il y a beaucoup de gens qui dansent, c'est de cette façon qu'il est né, et ensuite nous l'avons amené sur scène. C'est un art dans lequel nous reflétons la vie, nous reflétons ce qu'est la tragédie, la tristesse, l'amour, le désamour, la joie aussi. En fait je pense que le flamenco est le reflet de la vie.

"Le flamenco est le reflet de la vie" 


Comment définirais-tu le baile flamenco en particulier ?

Le baile flamenco est une des trois formes du flamenco. Il y a la guitare, le cante et le baile. Nous faisons des mouvements en fonction de la musique que nous écoutons. Si nous écoutons une musique triste, notre expression corporelle sera plus triste, si nous écoutons une musique passionnelle, nous danserons de façon plus sensuelle, et si l'on écoute une alegria, une buleria, quelque chose de plus joyeux... je pense que ce qui influence vraiment c'est la musique que nous écoutons.

Quelle ligne artistique as-tu toujours suivie ?

Ma ligne artistique a toujours été d'essayer de faire les choses très bien chaque jour, de faire les choses au mieux. Ecouter beaucoup la musique, bien l'écouter, et danser un peu en fonction de mon ressenti. Je danse beaucoup avec le corps, avec les mains, avec les bras. J'aime conserver la racine du flamenco, conserver son essence mais aussi être en phase avec mon époque [...] Je pense que lorsque j'ai commencé à danser j'étais avide de connaissance, je voulais toujours savoir plus, faire plus de choses, apprendre plus, faire de nouveaux mouvements avec le corps, avec les bras, et je pense que j'ai réussi. Alors c'est pour ça que j'ai une façon de danser qui vient de moi, de mes sentiments.

Au museo del baile que tu as créé à Séville, il y a une salle didactique, penses-tu comme Manolo Sanlucar que le flamenco devrait être enseigné au conservatoire ?

Oui, bien sûr, je suis de ceux qui pensent que c'est un art très riche, un art merveilleux qui devrait être enseigné aux enfants, surtout en Andalousie. Pour que les enfants depuis tout petits puissent savoir et comprendre, pas pour devenir professionnels mais pour au moins pouvoir répondre aux gens qui leur posent des questions sur le flamenco. Et aussi essayer de leur enseigner un peu ce qu'est le flamenco. C'est difficile de le développer car tout le monde n'a pas une bonne oreille, un bon rythme, tout le monde n'a pas de facilités pour le flamenco. Alors je pense que les enfants devraient comprendre celà.

Qu'est-ce qui fait rêver Cristina aujourd'hui ?

Je me lève tous les jours avec une rêve ou un espoir. J'aimerais continuer à faire des choses, que ce soit sur scène ou ailleurs : de la chorégraphie, de la mise en scène... Je pense que faire une grande comédie musicale sur le flamenco serait très intéressant, peut-être qu'il manque aussi quelques films sur le flamenco, alors j'ai l'espoir de pouvoir faire ce genre de choses que j'ai en tête. J'espère pouvoir les réaliser, mais sinon je garderai toujours l'espoir.

Quelles sont tes relations avec les autres flamencos ?

J'ai de très bonnes relations. Je voyage énormément alors j'ai plus de relations avec les gens de la compagnie, logiquement. Mais avec les autres j'ai de bonnes relations, je m'intéresse quand ils ont du succès, car je pense que le succès des autres est aussi le nôtre. J'aime que les gens fassent les choses bien, qu'ils aient du succès et remplissent les théâtres, et s'ils font les choses avec qualité c'est bon pour tout le monde, car si les gens voient un spectacle de qualité, ils ont envie de retourner voir un spectacle de flamenco. Donc je me réjouis du succès de tout le monde, j'ai de bonnes relations avec énormément de personnes du monde de la guitare, du baile, du cante... Je ne suis pas beaucoup avec eux car je travaille beaucoup mais bon, c'est bien.

"Ce sont des adieux partiels" 





Questions : Murielle TIMSIT, Muriel MAIRET
Traduction : Murielle TIMSIT

Tu as une relation privilégiée avec la ville de Paris (vendredi 13 Février tu recevras la médaille de la ville), comment est né ce lien ?

La première fois que je suis venue ici à Paris c'était en 1969 avec Antonio Gades. Je suis restée avec lui plus de vingt ans car j'ai commencé à danser avec lui en 1967. En 1969 nous nous sommes produits au Théâtre de l'Odéon et déjà la critique écrivait "la grande bailaora qui vient avec Antonio Gades", des paroles merveilleuses. Ensuite on est revenus plusieurs fois : avec Bodas de Sangre, Flamenco Solo, on a étrenné Carmen ici à Paris. A l'époque d'Antonio Gades c'était merveilleux. Ensuite je suis revenue avec ma propre compagnie, j'ai fait des premières au Châtelet, au Théâtre des Champs-Elysées, à Mogador, et ici dans ce théâtre merveilleux. Mais le théâtre le plus spécial où j'ai dansé c'est l'Opéra Garnier en 1990. Pour moi, le fait qu'aucun espagnol n'ait été sur cette scène avant moi fut un privilège, et je remercie surtout Monsieur Cartier, qui était à la tête du Théâtre à l'époque, c'est un merveilleux souvenir.

C'est pour ça que tu as décidé de faire tes adieux ici à Paris ?

Plus que des adieux, je pense que ce sont des adieux partiels. Je n'ai jamais voulu annoncer une retraite, car je veux m'en aller petit à petit et à compas comme je suis venue. Mais le producteur qui nous a fait venir ici savait que je pensais à la retraite alors il a voulu l'annoncer. Mais bien sûr que je vais rester très proche du baile. Par exemple si on fait La Casa de Bernarda Alba de Lorca, je peux tenir le rôle de La Bernarda, tu comprends ? Ou je peux faire La Vieja Pagana de Yerma. Je ne serai plus la grande protagoniste, mais après le grand succès que nous avons à Paris, pourquoi ne pas revenir une autre fois, qui sait ?

Que fais-tu de ton temps libre ?

Durant la journée, tu as vu qu'on arrive ici à partir de 17h. Ce que je fais le matin c'est me promener et me rappeler tous ces endroits que j'ai vus avant, il fait très froid mais je me promène quand-même, et rencontrer des amis que je connais. Voilà ce que je fais durant la journée, je mange, je discute un peu avec mes compagnons de ce que nous allons faire à la répétition, et nous venons ici très tôt, voilà comment se passe ma vie à Paris. Les jours de repos je vais au musée, car si je marche trop j'ai les jambes un peu lourdes. Mais me promener seulement me rend heureuse car Paris est une ville merveilleuse, merveilleuse.

Comment arrives-tu à tout gérer entre la compagnie, le musée ?

J'essaye toujours de trouver une personne qui m'aide, dans ce cas ce sont les premiers danseurs qui m'aident. De plus j'ai mon mari qui m'aide aussi, Juan Antonio Jimenez, tu sais déjà qui c'est. Il a été longtemps avec Gades aussi. Alors je cherche une équipe. Je me consacre à la direction, je veille à ce que le ballet travaille suffisamment. Ensuite je crée les chorégraphies toujours aidée par le premier danseur, avant c'était Junco qui m'aidait, maintenant c'est Mariano. Nous préparons un nouveau spectacle pour Juillet à Grenade qui aura pour thème le Poema del Cante Jondo de Federico Garcia Lorca, et je suis aidée par Mariano et Jesus, un autre danseur. Donc nous formons une équipe, nous faisons attention à chaque pas, chaque chorégraphie, et ça se passe bien.

Comment t'es venue l'idée de mettre en scène l'oeuvre de Lorca "Romancero Gitano" ?

Tu sais qu'il y a plusieurs années j'ai déjà fait Bodas de Sangre, j'ai fait une Yerma en 1992, j'ai joué une fois le rôle d'une des filles dans La Casa de Bernarda Alba. Nous les flamencos sommes très proches de Lorca. C'est merveilleux car Lorca a des choses excellentes. Dans ce spectacle nous avons fait Lorca car la Junta de Andalucia a un festival à Grenade qui s'appelle Lorca y Granada. Alors le Ballet a la possibilité de faire Lorca là-bas à Grenade, c'est pour ça que nous avons déjà fait deux Lorca et nous allons faire le troisième.

Par ailleurs, Lorca est très proche de nous dans le sens où il aimait beaucoup le flamenco, il faisait de la musique. Il était toujours très proche des gitans de Grenade, des gens qui dansaient et chantaient. De plus son language, bien qu'il soit très métaphorique, est un language qui raconte toujours les histoires du peuple, alors travailler sur Lorca n'est pas forcément facile car nous ne voulons pas forcément arriver à la même chose, mais pour nous penser Lorca et transmettre ce que Lorca voulait dire dans telle histoire ou tel poème pour nous c'est merveilleux. C'est pour cette raison que nous faisons Lorca.

"Nous les flamencos
sommes très proches de Lorca" 


Comment as-tu choisi les romances ?

C'est le directeur José Carlos Plaza, qui est le metteur en scène, qui nous a aidé un peu à transmettre les poèmes, surtout pour ce qui est de l'interprétation. Nous avons choisi ceux qui s'adaptent le plus au baile et aussi peut-être les plus populaires comme El Camborio, La Casada Infiel..., je pense qu'en Espagne ce sont les plus connus.

Comment as-tu choisi les danseurs ?

Les danseurs sont déjà là, celà fait 4 ans qu'ils sont dans la compagnie. Alors, au moment de choisir les poèmes, José-Carlos et moi avons décidé qui pourrait le mieux les interpréter. "Cette fille pourrait faire la Monja", et celle-ci "Preciosa"...

Le romance del sonambulo sert de fil conducteur au spectacle, on a déjà vu ça dans Carmen de la Compagnie Antonio Gades aussi...

Verde que te quiero verde, le romance du sonambulo, c'est celui est entre chaque romance, car c'est un poème très profond, très connu en Espagne aussi alors on a pensé que c'était bien de le mettre entre chaque poème, et je pense que ça a bien fonctionné. Dans Carmen c'est avec une autre musique, celle de Manzanita.

Quelle place donnes-tu à l'interprétation ?

Quand on raconte des romances qui sont de petites histoires, je pense qu'en plus de danser il faut interpréter pour que le public comprenne ce que nous sommes en train de faire. C'est un mal pour un bien. Il faut danser un peu moins pour laisser la place à l'interprétation. Je pense qu'on y arrive car le public, quasiment sans connaître le poème arrive à comprendre. Par exemple le poème de la Guardia Civil est un poème très dur et tout le monde peut comprendre qu'à l'époque où écrivait Lorca la Guardia Civil était ainsi. Et pour le poème du Camborio, on l'a vraiment tué de cette façon, alors cette interprétation que fait le danseur avec la mort, avec tout, je pense qu'il le fait très bien car le metteur en scène a fait aussi un excellent travail.


Remerciements à Franck Peyrinaud

ENTRETIEN PROTEGE NE POUVANT ETRE DIFFUSE NI EN INTEGRALITE NI EN PARTIE SANS DEMANDE D'AUTORISATION EFFECTUEE AU PREALABLE AU SITE WWW.FLAMENCO-CULTURE.COM.- COPYRIGHT SUR LES QUESTIONS ET LES REPONSES DES FICHIERS SOURCES AUDIO, VIDEO et ECRITS.

flamenco-culture.com - 04 Février 2009